Kenilworth
contraire, à la fois riche et élégant, parait celui qui le portait de manière à attirer sur lui tous les regards. Tressilian prononça en conséquence que l’habit de Blount était plus beau, mais que celui de Raleigh était de meilleur goût.
Blount fut satisfait de cette décision. – Je savais bien, dit-il, que mon habit était plus beau ; et si ce maraud de Doublestitch m’eût apporté un pourpoint uni comme celui de Raleigh, je lui aurais brisé la tête avec son aune. Puisqu’il faut être fou, soyons au moins des fous de première classe.
– Mais, Tressilian, dit Raleigh, qu’attends-tu pour aller t’habiller ?
– Une méprise me prive de ma chambre, répondit Tressilian, et me sépare pour quelque temps de mon bagage ; j’allais te prier de me recevoir dans ton logement.
– Comment ! mais avec plaisir ! dit Raleigh ; ma chambre est fort vaste. Lord Leicester nous traite avec égard ; il nous a logés comme des princes. Si sa courtoisie est un peu forcée, du moins elle va fort bien. Cependant je te conseille d’aller trouver le chambellan du comte ; il te fera raison sur-le-champ.
– Bah ! cela n’en vaut pas la peine, puisque vous consentez à me recevoir chez vous, répondit Tressilian : mais est-il bien sûr que je ne gênerai personne ? À propos, est-il venu quelqu’un avec vous de Warwick ?
– Varney, répondit Blount, et une tribu entière de Leicestériens , avec une vingtaine environ de fidèles amis de la maison de Sussex. Nous devons, à ce qu’il paraît, recevoir la reine dans ce qu’ils appellent la tour de la Galerie, et assister aux drôleries qu’on projette pour la fêter ; nous composerons sa suite pour l’accompagner dans la grand’salle, tandis que ceux qui attendent maintenant Sa Majesté iront se déshabiller et changer leurs costumes de voyage. Dieu me damne ! si Sa Majesté m’adresse la parole, je ne saurai que lui répondre.
– Quel motif vous a retenu si long-temps à Warwick ? dit Tressilian qui craignait que la conversation ne se reportât sur ses affaires.
– Mille extravagances ! répondit Blount, telles qu’on n’en voit pas même de semblables à la foire de la Saint-Barthélemy {120} : il y a eu des discours, des comédies, des chiens, des ours, des hommes habillés en singes, des femmes se faisant poupées, etc. En vérité je m’étonne que la reine ait pu supporter tout cela : mais de temps en temps on pouvait bien exalter « la douce lumière de son gracieux sourire {121} » ou autres lieux communs ! Ah ! la vanité rend souvent fou le plus sage ! Allons, viens aussi à la tour de la Galerie ; mais je ne sais, Tressilian, comment tu pourras faire pour te présenter avec ce costume de voyage et ces bottes.
– Je me tiendrai derrière toi, Blount, dit Tressilian, qui vit que la parure extraordinaire de son camarade occupait exclusivement son imagination ; ta noble taille et ton habit élégant couvriront ce qui me manquera.
– Tu crois que cela pourra se faire ainsi, Edmond ? répondit Blount ; eh bien ! soit. Je suis vraiment charmé que mon habit soit à ton goût : quand on a fait tant que de faire une folie, il faut la faire comme il faut.
En disant ces mots Blount retroussait son chapeau, tendait la jambe et marchait d’un air fier, comme s’il eût été à la tête de sa brigade de lanciers ; de temps en temps il laissait tomber un regard satisfait sur ses bas cramoisis et sur les larges rosettes de rubans jaunes qui s’épanouissaient sur son soulier. Tressilian, triste et pensif, le suivait sans faire attention à Raleigh, qui, s’amusant de la maladroite vanité de son ami, en faisait le texte de mille plaisanteries qu’il soufflait à l’oreille de Tressilian.
C’est ainsi qu’ils traversèrent le pont, et qu’ils furent se placer avec d’autres gentilshommes devant la porte extérieure de la galerie ou tour d’entrée. Leur nombre se composait de quarante personnes environ, choisies dans le premier rang de la société, au-dessous de celui de chevalier, et rangées en double haie de chaque côté de la porte comme une garde d’honneur.
Ces gentilshommes n’étaient armés que de leur épée ; leur habillement était aussi riche que l’imagination peut le concevoir ; et comme le costume du temps permettait d’étaler une grande magnificence, on ne voyait que velours, broderies d’or et d’argent, rubans, perles et chaînes d’or. Malgré les pensées
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