Kenilworth
collet le jongleur tremblant, et Lambourne, marchant à pas pressés devant eux, se dirigea vers la porte secrète par laquelle Tressilian était entré, et qui était pratiquée dans le mur de l’ouest, non loin de la tour de Mervyn.
Tandis qu’ils traversaient l’espace qui séparait la poterne de la tour de Mervyn, Wayland se creusait en vain la cervelle pour trouver un moyen de servir la pauvre dame, qui, malgré le pressant danger dans lequel il se trouvait lui-même, excitait encore son intérêt : mais, quand il fut mis hors du château, et que Lambourne lui eut signifié avec un effroyable jurement qu’une prompte mort suivrait le moment où il y remettrait les pieds, il leva les mains et les yeux vers le ciel pour le prendre à témoin qu’il avait jusqu’à la fin défendu l’opprimée ; puis il tourna les talons aux superbes tours de Kenilworth, et se mit en route pour chercher un asile plus humble et plus sûr.
Lawrence et Lambourne le suivirent des yeux pendant quelque temps ; puis ils rentrèrent au château. Chemin faisant, Lawrence dit à Lambourne : – Le ciel me bénisse, M. Lambourne, si je devine pour quel motif vous avez, chassé ce pauvre diable chargé de jouer un rôle dans le spectacle qui va commencer… et le tout pour une fille !
– Ah ! Lawrence, répondit Lambourne, tu penses à la noire Jeanne Jugges de Slingdon, et tu prends pitié des faiblesses humaines ! Mais courage, mon très noble duc du cachot, seigneur suzerain des Limbes, tu ne vois pas plus clair dans cette affaire qu’on n’y voit dans tes domaines. Mon très révérend seigneur des pays bas de Kenilworth, apprends que notre très respectable maître Richard Varney nous donnerait, pour trouver un trou dans le manteau de ce Tressilian, assez de piastres pour nous faire boire cinquante nuits de suite avec pleine permission d’envoyer promener l’intendant s’il venait nous déranger avant d’avoir vidé les dernières bouteilles.
– Oh ! si cela est, vous avez raison, répondit le grand geôlier de Kenilworth. Mais comment ferez-vous pour vous absenter lors de l’arrivée de la reine, M. Lambourne ; car il me semble que vous devez accompagner votre maître ?
– J’ai compté sur tes soins, mon vice-roi, pour faire la garde en mon absence. Laisse entrer Tressilian, s’il le désire ; mais que personne ne sorte. Si la demoiselle tentait une sortie, ce qui pourrait bien arriver, effraie-la avec ta grosse voix. Ce n’est, après tout, que la sœur d’un mauvais comédien.
– Quant à cela, dit Lawrence, je fermerai le verrou de fer à la seconde porte ; et ainsi, de gré ou de force, je n’aurai pas grande peine à répondre d’elle.
– Mais Tressilian ne pourra plus pénétrer chez elle, dit Lambourne après un moment de réflexion. Peu importe, on la surprendra dans sa chambre, cela suffit. Mais avoue, vieux geôlier aux yeux de chauve-souris, que tu crains de veiller seul dans cette tour de Mervyn.
– Moi ! pourquoi cela, M. Lambourne ? Je m’en moque comme d’un tour de clef. Il est vrai qu’on y a entendu et même vu d’étranges choses. Vous n’êtes pas sans avoir ouï-dire, quoique vous ne soyez à Kenilworth que depuis peu de temps, que cette tour est visitée par l’esprit d’Arthur appelé Mervyn, ce chef barbare qui fut pris par le vaillant lord Mortimer lorsqu’il était un des commandans des frontières de Galles, et assassiné, à ce qu’on dit, dans cette même tour.
– Oh ! j’ai entendu faire ce conte plus, de cent fois, dit Lambourne ; on prétend même que le fantôme ne fait jamais plus de bruit que quand on fait bouillir des poireaux ou frire du fromage dans les régions culinaires. Santo diavolo ! retiens ta langue ; je sais ce qu’il en est.
– Mais toi, tout sage que tu veux paraître, dit le porte-clefs, tu ne la retiens guère. Cependant c’est une terrible chose que de tuer un prisonnier. Donner un coup de poignard à un homme au coin d’une rue, ce n’est rien pour toi ; appliquer un grand coup de clef sur la tête d’un prisonnier récalcitrant en lui disant : Reste tranquille, c’est ce que j’appelle maintenir l’ordre dans la prison ; mais tirer une épée et le tuer comme ce seigneur du pays de Galles, il y a là de quoi vous susciter un fantôme capable de rendre la prison inhabitable pendant des siècles… Regarde jusqu’à quel point j’étends mes attentions sur les prisonniers, ces pauvres
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