Kenilworth
ses yeux n’eussent jamais vu la reine, elle soupçonna cependant que c’était elle-même.
Quittant le banc couvert de mousse sur lequel elle était assise, elle s’était levée dans le dessein de s’avancer pour parler à l’étrangère ; mais elle se souvint que Leicester avait souvent paru alarmé que la reine ne vînt à apprendre leur union ; elle demeura un pied en avant, immobile et pâle comme le pilier d’albâtre contre lequel elle s’appuyait. Sa robe, d’un vert d’eau, ressemblait, dans l’obscurité, à la draperie d’une nymphe grecque, Wayland ayant regardé ce déguisement comme le plus sûr, dans un endroit où il se trouvait tant de masques et de jongleurs ; de sorte que toutes ces circonstances, et surtout l’œil fixe et les joues décolorées de l’être qui se présentait aux yeux de la reine, justifiaient assez le doute qu’elle avait conçu.
Élisabeth s’était arrêtée à quelques pas, et fixait ses regards pénétrans sur la naïade prétendue. L’étonnement qui avait causé l’immobilité d’Amy fit place au respect. Elle baissa les yeux en silence, ne pouvant soutenir le regard imposant de sa souveraine.
Le costume dont elle était revêtue et la cassette qu’elle tenait à la main firent croire à Élisabeth que cette beauté silencieuse était chargée de jouer un rôle dans une des allégories qu’on représentait dans les différentes parties du parc ; et qu’au lieu de lui offrir son hommage, la pauvre enfant, saisie d’une crainte respectueuse, oubliait son rôle, ou n’avait pas le courage de le réciter. La reine voulut l’encourager, et lui dit d’un ton affectueux :
– Pourquoi donc, belle nymphe de cette grotte, vous laissez-vous subjuguer par la puissance de cette enchanteresse que les hommes appellent la crainte ?… Nous en sommes l’ennemie jurée, et nous voulons détruire ce charme : parlez, nous vous l’ordonnons.
Au lieu de répondre, la comtesse se jeta aux genoux de la reine, laissa tomber sa cassette en joignant les mains, et leva vers Élisabeth des yeux où se peignaient d’une manière si touchante la crainte et la prière que la reine en fut vivement émue.
– Que signifie cela ? dit-elle. Vous paraissez plus troublée que ne l’exige un manque de mémoire : levez-vous, demoiselle ; que désirez-vous de nous ?
– Votre protection, madame, répondit la suppliante en hésitant.
– Il n’est point de fille en Angleterre qui n’y ait droit quand elle la mérite, répondit la reine ; mais votre malheur semble avoir une cause plus sérieuse que l’oubli d’un rôle à débiter. Pourquoi me demandez-vous ma protection ? qu’avez-vous à craindre ?
Amy chercha ce qu’il fallait répondre pour échapper aux dangers qui l’environnaient sans compromettre son époux ; et, passant d’une idée à l’autre au milieu de la confusion qui troublait son esprit, elle ne répondit aux demandes réitérées de la reine qu’en laissant échapper ces mots : – Hélas ! je n’en sais rien.
– Cette jeune fille est folle, dit la reine impatientée ; car le trouble évident de la jeune comtesse irritait sa curiosité, et excitait son intérêt. Avouez-moi vos peines, je puis les guérir. Répondez, et sachez que je ne suis point accoutumée à répéter une question.
– Je demande,… j’implore,… dit la malheureuse Amy en bégayant, j’implore votre protection contre… contre Varney. Puis elle se tut, comme si elle avait prononcé le mot fatal. La reine reprit aussitôt :
– Quoi ! Varney ! sir Richard Varney ! le serviteur de lord Leicester ! qu’y a-t-il de commun entre vous et lui ?
– J’étais… j’étais sa prisonnière ; il a attenté à ma vie. J’ai pris la fuite pour… pour…
– Pour venir sans doute vous mettre sous ma protection ? dit Élisabeth : vous l’obtiendrez, du moins si vous en êtes digne. Je veux connaître cette affaire à fond. Je le devine, ajouta-t-elle en jetant sur la comtesse un regard qui semblait devoir percer jusque dans les plus secrets replis de son âme, vous êtes Amy, fille de sir Hugh Robsart, de Lidcote-Hall.
– Pardon ; ah ! pardon, généreuse princesse, s’écria Amy en se jetant de nouveau aux genoux de la reine.
– Et que dois-je te pardonner, fille insensée ? dit Élisabeth ; est-ce d’être la fille de ton père ? Ta raison est égarée, rien n’est plus certain. Apprends-moi tout ce qui s’est passé. Tu as
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