Kenilworth
sur ses joues. Bien plus, ajoutait la duchesse, Sa Majesté détourna les yeux pour éviter les miens, elle dont le regard ordinaire serait capable d’intimider un lion. On devine assez quelle conséquence on tira de ces apparences, et peut-être ce qu’on en conclut n’était pas absolument mal fondé.
Un entretien secret entre deux personnes d’un sexe différent décide souvent de leur destinée, et les mène plus loin qu’elles ne le prévoient elles-mêmes. La galanterie se mêle à la conversation ; l’amour, peu à peu, se joint à la galanterie ; les grands, comme les bergers, en disent plus qu’ils ne l’auraient voulu ; et, dans ces momens critiques, les reines, comme les simples villageoises, écoutent plus long-temps qu’elles ne le devraient.
Cependant les chevaux hennissaient dans la cour, et rongeaient leur mors avec impatience ; les limiers accouplés aboyaient ; les piqueurs et les gardes du bois se plaignaient qu’on laissât passer la rosée, ce qui ferait disparaître les traces du cerf. Mais Leicester avait une autre chasse en tête, ou, pour lui rendre plus de justice, il s’y était trouvé engagé sans préméditation, comme l’ardent chasseur suit une meute que le hasard lui fait rencontrer. La reine, femme belle et aimable, l’orgueil de l’Angleterre, l’espoir de la France et de la Hollande, et la terreur de l’Espagne, avait probablement écouté avec une complaisance plus marquée les expressions de cette galanterie romanesque qu’elle avait toujours aimée ; et le comte, soit par vanité, soit par ambition, ou par ces deux sentimens réunis, s’était montré de plus en plus galant, jusqu’à risquer dans son pressant entretien le langage de l’amour.
– Non, Dudley, lui disait Élisabeth d’une voix entrecoupée, non ; je dois rester la mère de mon peuple. Les liens qui font le bonheur d’une jeune fille dans tout autre rang nous sont refusés sur le trône… Non, Leicester, cessez de me presser ;… si j’étais, comme les autres femmes, libre de chercher mon bonheur,… alors, je l’avoue ;… mais cela ne se peut,… non, cela ne se peut… Retardez la chasse,… retardez-la d’une demi-heure ;… laissez-moi, milord.
– Vous quitter, madame ! ma témérité vous aurait-elle offensée ?
– Non, Leicester, non ; mais c’est une folie ; je ne veux plus en entendre parler. Allez,… mais ne vous éloignez pas trop, et veillez à ce que personne ne vienne m’interrompre. Je veux être seule.
Pendant qu’elle prononçait ces paroles, Dudley fit un salut profond, et se retira d’un air triste et abattu. La reine s’arrêta pour le regarder, pendant qu’il s’éloignait, et se dit à elle-même : – S’il était possible…, s’il était seulement possible… ; mais non…, non :… Élisabeth ne doit être l’épouse et la mère que du royaume d’Angleterre.
En murmurant ces mots, et pour éviter quelqu’un qu’elle entendit approcher, Élisabeth se glissa dans la grotte où se tenait cachée sa malheureuse rivale.
La reine, quoique émue par l’entretien qu’elle venait d’interrompre, avait un de ces caractères fermes et décidés qui reprennent bientôt leur naturel. On pouvait comparer son cœur à un de ces anciens monumens des Druides, mobiles sur leur point d’appui, que le doigt d’un enfant peut bien ébranler, mais dont toute la force d’Hercule ne saurait détruire l’équilibre. C’est ainsi que le cœur de la reine, agité un moment par l’amour, ne tarda pas à redevenir maître de lui-même.
Elle s’avançait à pas lents ; à peine était-elle arrivée au milieu de la grotte que déjà son regard avait recouvré sa dignité, et son maintien son air d’autorité.
Ce fut dans ce moment qu’elle aperçut une femme placée auprès d’une colonne d’albâtre, au pied de laquelle coulait une fontaine limpide, éclairée par un demi-jour.
La mémoire classique d’Élisabeth lui rappela l’histoire d’Égérie et de Numa ; elle crut qu’un sculpteur italien avait voulu représenter dans ce lieu la nymphe dont les inspirations donnèrent des lois à Rome ; mais, en avançant, elle commença à douter si c’était une statue qu’elle voyait, ou une femme véritable.
La malheureuse Amy restait immobile, partagée entre le désir de confier sa situation à une personne de son sexe et la confusion qu’elle éprouvait à l’aspect de la personne imposante qui l’approchait ; quoique
Weitere Kostenlose Bücher