Kenilworth
innocent !
Amy, encore à genoux, se releva aussitôt en voyant à son côté l’homme qui lui était si odieux. Elle allait se réfugier auprès de Leicester, mais elle fut encore arrêtée par l’embarras et la timidité qu’avait fait renaître dans ses regards l’apparition soudaine de son confident, qui semblait devoir ouvrir une nouvelle scène. Elle recula, et, poussant un faible cri, elle supplia Sa Majesté de l’enfermer dans la plus étroite prison du château… – Traitez-moi comme la dernière des criminelles, mais éloignez-moi de celui qui est capable d’anéantir le peu de raison qui me reste. Éloignez-moi du plus abominable des hommes !
– Comment, ma fille ! dit la reine, passant à une nouvelle idée ; que vous a donc fait ce chevalier pour le traiter ainsi ? que lui reprochez-vous ?
– Tous mes chagrins, madame, toutes mes injures, et plus encore… Il a semé la dissension où devait régner la paix. Je deviendrais folle si j’étais forcée de le regarder plus long-temps.
– Je crois que vous avez déjà la raison égarée, répondit la reine. Lord Hunsdon, veillez sur cette jeune infortunée ; qu’on la mette ensuite dans un asile honnête et sûr, jusqu’à ce que nous ordonnions de la faire paraître devant nous.
Deux ou trois dames de la suite d’Élisabeth, soit qu’elles fussent émues de compassion pour une créature si intéressante, soit par tout autre motif, s’offrirent de veiller sur elle ; mais la reine leur répondit en peu de mots : – Non, mesdames, je vous remercie. Vous avez toutes, Dieu merci, l’oreille fine et la langue déliée… Notre cousin Hunsdon a l’oreille des plus dures, et la langue quelquefois un peu libre, mais du moins il est discret. Hunsdon, veillez à ce que personne ne lui parle.
– Par notre Dame, dit Hunsdon en prenant dans ses bras vigoureux Amy défaillante, c’est une aimable enfant ; et, quoique la nourrice que lui donne Votre Majesté soit un peu rude, cependant elle n’aura pas à s’en plaindre, et elle est en sûreté avec moi comme si elle était une de mes filles.
En disant ces mots, il emmena la comtesse sans qu’elle fît aucune résistance, sans qu’elle parût avoir même le sentiment de ce qui se passait. La longue barbe blanche du guerrier se mêlait aux tresses noires d’Amy, qui penchait sa tête sur ses larges épaules. La reine les suivit quelque temps des yeux. Déjà, grâce à cet empire sur soi-même, qualité si nécessaire à un souverain, elle avait banni de ses traits toute apparence d’agitation, et semblait vouloir faire perdre le souvenir de son emportement à ceux qui en avaient été les témoins. – Lord Hunsdon a raison, dit-elle, c’est une nourrice bien rude pour une si tendre enfant.
– Lord Hunsdon, dit le doyen de Saint-Asaph, – et je ne veux pas pour cela rabaisser ses nobles qualités, – a le verbe très libre ; il entremêle trop souvent ses paroles de ces juremens superstitieux qui sentent à la fois le païen et le papiste.
– C’est la faute de son sang, monsieur le doyen, dit la reine en se tournant brusquement vers le révérend dignitaire ; il faudrait aussi me faire les mêmes reproches ; les Boleyn furent toujours vifs et francs, plus jaloux de dire leur pensée que soigneux de choisir leurs expressions ; et sur ma parole, – j’espère que cette affirmation n’est pas un péché, – je doute que leur sang se soit refroidi beaucoup en se mêlant à celui des Tudors.
Un sourire gracieux accompagna ces derniers mots de la reine ; ses yeux se promenèrent presque insensiblement autour d’elle pour chercher ceux du comte de Leicester, qu’elle craignait d’avoir traité trop sévèrement sur un injuste soupçon.
Le regard de la reine ne trouva pas le comte très disposé à accepter ces offres muettes de réconciliation. Ses yeux avaient suivi, avec l’expression du repentir, cette infortunée, que Hunsdon venait d’emmener ; et maintenant il tenait son front tristement baissé vers la terre. Élisabeth crut voir dans la figure du comte la fierté d’un homme injustement accusé bien plus que la honte d’un coupable. Elle détourna ses yeux avec dépit, et, s’adressant à Varney : – Parlez, sir Richard ; expliquez-nous ces énigmes ; vous avez votre bon sens et l’usage de la parole, que nous cherchons vainement ailleurs.
Ces mots furent suivis d’un nouveau regard jeté sur Leicester ; et l’astucieux Varney se
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