Kenilworth
domina encore une fois sur l’horizon de la cour.
Mais le triomphe que Leicester obtenait sur la nature et sa conscience fut empoisonné non seulement par le murmure secret de ses sentimens révoltés contre la violence qu’il leur faisait, mais encore par diverses circonstances qui, pendant le banquet et les fêtes de la soirée, réveillèrent chez lui une pensée qui faisait son supplice.
Ainsi, par exemple, les courtisans étaient dans la grand’salle après le banquet, attendant une superbe mascarade qui devait servir de divertissement pour la soirée, lorsque la reine interrompit tout-à-coup le comte de Leicester, dans une espèce d’assaut de saillies qu’il soutenait contre lord Willoughby, Raleigh et plusieurs autres courtisans, en disant : – Milord, nous vous ferons condamner comme coupable de haute trahison si vous continuez à nous faire mourir de rire. Mais voici quelqu’un qui possède le talent de vous rendre tous sérieux à son gré : c’est notre docte médecin Masters, qui sans doute nous apporte des nouvelles de notre pauvre suppliante lady Varney. J’espère, milord, que vous ne nous quitterez pas lorsqu’il s’agit d’une contestation entre époux ; nous n’avons pas nous-même assez d’expérience pour prononcer en pareille matière sans un bon conseil. Eh bien, Masters, que pensez-vous de cette pauvre folle ?
Le sourire qui animait les lèvres de Leicester quand il parlait s’y arrêta tout-à-coup quand la reine l’eut interrompu, comme s’il y eût été sculpté par le ciseau de Michel-Ange ou de Chantrey {127} . Il écouta le rapport du médecin avec le même aspect d’immobilité.
– Gracieuse reine, répondit Masters, lady Varney garde un sombre silence ; elle ne veut pas s’ouvrir à moi sur l’état de sa santé ; elle parle de venir elle-même plaider sa cause devant vous, et dit qu’elle ne veut répondre aux questions d’aucune autre personne.
– Que le ciel m’en préserve ! dit la reine ; nous avons déjà assez souffert du trouble et de la discorde qui semblent suivre cette infortunée partout où elle va. N’êtes-vous pas de cet avis, milord ? ajouta-t-elle en s’adressant à Leicester avec un regard où se peignait le regret de ce qui s’était passé dans la matinée. Leicester s’inclina profondément ; mais, malgré tous ses efforts, il ne put parvenir à dire à la reine qu’il partageait ses sentimens.
– Vous êtes vindicatif, milord, dit-elle ; nous saurons vous en punir en temps et lieu. Mais revenons à ce trouble-fête, lady Varney ; comment se porte-t-elle, Masters ?
– Elle est plongée dans une noire mélancolie, madame, comme je vous l’ai déjà dit, répondit Masters ; elle ne répond point à mes questions, et ne veut pas se soumettre à ce que prescrit la médecine. Je la crois possédée d’un délire qui me paraît plutôt être hypocondriaque que frénétique et je crois qu’il faudrait que son mari la fît soigner dans sa maison, loin de tout ce tumulte qui trouble sa faible tête, et lui montre des fantômes imaginaires. Elle laisse échapper quelques mots qui la feraient prendre pour un grand personnage déguisé ; quelque comtesse ou princesse peut-être… Le ciel lui soit en aide ! telles sont les hallucinations {128} de ces infortunés.
– Oui, dit la reine, qu’on la fasse partir au plus vite, qu’on la confie aux soins de Varney ; mais qu’elle abandonne le château sans retard. Elle se croirait ici maîtresse de tout, je vous le garantis : il est bien malheureux qu’une si belle personne ait ainsi perdu la raison ; qu’en pensez-vous, milord ?
– Très malheureux, en vérité, répondit le comte en répétant ces paroles comme une tâche qu’on lui imposait.
– Mais peut-être, dit Élisabeth, n’êtes-vous pas de notre avis sur sa beauté ? Et, dans le fait, j’ai vu des hommes qui préféraient l’œil mâle et majestueux de Junon à ces belles délicates qui penchent la tête comme un lis dont la tige est brisée. Oui, milord, les hommes sont des ennemis qui trouvent plus de charmes dans le combat que dans la victoire ; et, semblables à de braves champions, ils aiment mieux les femmes qui savent leur résister. Je pense comme vous, Rutland, que donner pour femme à Leicester une pareille figure de cire, ce serait vouloir lui faire désirer la mort au bout de la lune de miel.
En disant ces mots elle jeta sur le comte un regard si expressif que, malgré les
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