Kenilworth
jusqu’au dernier mot tout ce que Tressilian m’a dit, et tout ce que je lui ai répondu. Ce sera à ma honte que je parlerai ainsi ; car les reproches de Tressilian, quoique moins justes qu’il ne les croyait, n’étaient pas tout-à-fait sans fondement. Je souffrirai donc en lui faisant ce récit, mais je le lui ferai tout entier.
– Milady fera ce qu’elle jugera convenable : mais il me semble que, puisque rien n’exige ce franc aveu, il vaudrait autant vous épargner ce que vous appelez une honte et des souffrances, sauver des inquiétudes à milord, et épargner à M. Tressilian, puisque son nom doit être prononcé dans cette affaire, le danger qui en est la conséquence probable.
– Admettre cette conséquence, dit la comtesse avec sang-froid, ce serait supposer à milord des sentimens indignes de son noble cœur.
– Loin de moi une telle pensée, dit Varney ; et après un moment de silence, il ajouta avec un air de franchise en partie réel et en partie affecté, mais tout différent de sa manière ordinaire : – Eh bien, madame, je vous prouverai qu’un courtisan ose dire la vérité comme un autre, quand il s’agit de l’intérêt de ceux qu’il honore et qu’il respecte, et quoiqu’il puisse en résulter quelque péril pour lui-même.
À ces mots il se tut, comme s’il eût attendu l’ordre ou du moins la permission de continuer ; mais la comtesse gardant le silence, il reprit la parole, en employant un véritable détour.
– Jetez les yeux autour de vous, madame, dit-il ; voyez les barrières dont cette place est entourée, le profond mystère avec lequel le joyau le plus brillant que possède l’Angleterre est soustrait à tous les regards ; songez avec quelle rigueur vos promenades sont circonscrites, tous vos mouvemens restreints au gré de la volonté d’un bourru, de ce grossier Foster ; réfléchissez à tout cela, et cherchez quelle peut en être la cause.
– Le bon plaisir de milord, dit la comtesse, et il est de mon devoir de ne pas en chercher d’autre.
– Son bon plaisir, il est vrai ; et ce bon plaisir a pour cause un amour digne de l’objet qui l’inspire. Mais celui qui possède un trésor et qui en connaît la valeur désire souvent, en proportion du prix qu’il y attache, le mettre à l’abri de l’atteinte des autres.
– Que signifie tout cela, M. Varney ? Voudriez-vous me faire croire que milord est jaloux ? Quand cela serait vrai, je connais un remède infaillible contre la jalousie.
– En vérité, madame !
– Sans doute. C’est de lui dire toujours la vérité, de lui ouvrir mon âme, et de lui faire connaître toutes mes pensées aussi fidèlement que cette glace réfléchit les objets, de sorte que lorsqu’il regardera dans mon cœur il n’y trouvera que sa propre image.
– Je n’ai plus rien à dire, madame ; et comme je n’ai nulle raison pour prendre un intérêt bien vif à Tressilian, qui m’arracherait volontiers la vie s’il le pouvait, je me consolerai facilement de ce qui pourra lui arriver d’après la franchise avec laquelle vous avez l’intention d’avouer qu’il a eu la hardiesse de se présenter en ces lieux, et de vous y parler. Vous qui connaissez sans doute milord beaucoup mieux que moi, vous jugerez s’il est homme à souffrir cette insulte sans la punir.
– Si je croyais, s’écria la comtesse, que je pusse causer quelque malheur à Tressilian, moi qui lui ai déjà occasionné tant de chagrins, bien certainement je pourrais me laisser déterminer à garder le silence. – Mais à quoi cela servirait-il, puisqu’il a été vu par Foster et par une autre personne ? Non, non, Varney, ne m’en parlez plus ; je dirai tout à milord, et je saurai excuser la folie de Tressilian de manière à disposer le cœur généreux de mon époux à le servir plutôt qu’à lui nuire.
– Votre jugement, milady, est de beaucoup supérieur au mien. D’ailleurs, vous pouvez essayer la glace avant de risquer d’y marcher. En nommant Tressilian devant milord, vous verrez quel effet ce nom produira sur lui. Quant à Foster et à son ami, ils ne connaissent Tressilian ni de vue ni de nom, et je puis aisément leur suggérer une excuse raisonnable pour justifier la présence d’un inconnu dans cette maison.
La comtesse réfléchit un instant. – S’il est vrai, dit-elle ensuite, que Foster ne sache pas que l’étranger qu’il a vu est Tressilian, j’avoue que je serais fâchée qu’il
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