Kenilworth
satisfait en fait naître un autre.
– Et que pourrais-tu désirer que je ne sois disposé à t’accorder ? lui demanda le comte en la regardant avec tendresse.
– Je désirais voir mon époux venir dans cette retraite obscure, revêtu de toute sa splendeur ; maintenant je voudrais me trouver dans un de ses plus beaux palais, et l’y voir entrer couvert de la redingote brune qu’il portait quand il gagna le cœur de la pauvre Amy Robsart.
– C’est un désir facile à satisfaire ; demain je reprendrai la redingote brune.
– Mais irai-je avec vous dans un de vos châteaux pour voir comment la magnificence de votre demeure s’accordera avec de si simples vêtemens ?
– Comment ! Amy, dit le comte en jetant les yeux autour de lui, ces appartemens ne sont-ils donc pas décorés avec assez de splendeur ? J’avais donné ordre qu’ils le fussent d’une manière digne de vous et de moi ; il me semble effectivement qu’on aurait pu mieux faire ; mais dites-moi quels changemens vous désirez, et ils seront effectués sur-le-champ.
– Vous voulez rire, milord ; la magnificence de cet appartement est au-dessus de mon imagination comme de mon mérite. Mais votre épouse ne sera-t-elle pas un jour revêtue de l’éclat qui ne résulte ni du travail des ouvriers qui décorent ces appartemens, ni des riches étoffes et des joyaux dont votre libéralité se plaît à la parer ? Je veux parler de celui qui s’attache au rang qu’elle doit tenir parmi les dames anglaises, comme épouse du plus noble comte du royaume.
– Un jour, oui, Amy ; oui, mon amour ! ce jour arrivera bien certainement, et tu ne peux désirer ce jour plus ardemment que moi. Avec quel plaisir j’abandonnerais les soins de l’état, les soucis et les inquiétudes de l’ambition, pour passer honorablement ma vie dans mes domaines, avec toi pour amie et pour compagne ! Mais, Amy, cela est impossible, et ces entrevues dérobées, ces instans si précieux, sont tout ce que je puis donner à la femme la plus aimable et la plus aimée.
– Mais pourquoi cela est-il impossible ? dit la comtesse du ton le plus persuasif ; pourquoi cette union plus parfaite, cette union non interrompue que vous prétendez désirer, union prescrite par la loi de Dieu et par celles des hommes, ne peut-elle avoir lieu sur-le-champ ? Ah ! si vous le désiriez seulement la moitié autant que vous le dites, avec la puissance et le crédit dont vous jouissez, quel motif, quelle personne pourraient vous empêcher de vous satisfaire ?
Le front du comte se rembrunit.
– Amy, dit-il, vous parlez de ce que vous ne pouvez comprendre. Nous autres qui vivons à la cour, nous ressemblons à un voyageur qui gravit une montagne de sable mouvant. Nous n’osons nous arrêter que lorsque quelque pointe de rocher nous offre un terrain solide ; si nous voulons faire une pause plus tôt, nous tombons entraînés par notre poids, et nous devenons l’objet d’une dérision universelle. Je suis arrivé à un point élevé ; mais je n’y suis pas encore assez fermement établi pour n’écouter que mon inclination. Déclarer mon mariage, ce serait travailler à ma ruine. Mais, croyez-moi, j’atteindrai un lieu de sûreté ; je l’atteindrai promptement, et je ferai alors ce qu’exige la justice pour vous comme pour moi. En attendant, n’empoisonnez pas le bonheur dont nous jouissons, en désirant ce qui est impossible encore. Dites-moi plutôt si tout se passe ici au gré de vos désirs. Comment Foster se conduit-il envers vous ? J’espère qu’il vous témoigne tout le respect qu’il vous doit ; sans quoi le drôle le paierait bien cher !
– Il me rappelle quelquefois la nécessité de ma solitude, répondit la comtesse en soupirant ; mais c’est me rappeler vos désirs, et je suis plus portée à lui en savoir gré qu’à l’en blâmer.
– Je vous ai informée de cette nécessité indispensable. J’avoue que je trouve à Foster une humeur bourrue ; mais Varney me garantit sa fidélité et son dévouement. Si pourtant vous avez à vous plaindre le moins du monde de la manière dont il remplit ses devoirs, il en sera puni.
– Oh ! je n’aurai jamais à m’en plaindre tant qu’il s’acquittera fidèlement de vos ordres. D’ailleurs sa fille Jeannette est la compagne de ma solitude, et je l’aime infiniment. Son petit air de précision lui sied à ravir.
– Vraiment ? Celle qui peut vous plaire ne doit pas rester sans
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