Kenilworth
tabouret, afin d’étudier en détail toute ta splendeur, et de connaître comment sont vêtus les princes.
Et avec une curiosité enfantine que sa jeunesse et sa vie retirée rendaient non seulement naturelle, mais charmante, curiosité mêlée de l’expression délicate de l’amour conjugal le plus tendre, elle se mit à examiner et à admirer le costume de celui qui faisait le plus bel ornement de la cour renommée d’Angleterre, où la reine-vierge ne manquait ni de galans courtisans ni de sages conseillers. Le comte regardait avec affection son aimable épouse, jouissait de son ravissement, et ses nobles traits exprimaient alors des passions plus douces que celles qu’annonçaient souvent un front élevé et un œil noir et perçant. Il sourit plus d’une fois de la naïveté avec laquelle elle lui faisait quelques questions sur différentes parties de son costume.
– Cette bande brodée, comme tu l’appelles, qui entoure mon genou, lui dit-il, c’est la Jarretière d’Angleterre, ornement que les rois sont fiers de porter. Voici l’étoile qui lui appartient, et le diamant Georges qui est le joyau de l’ordre. Tu sais que le roi Édouard et la comtesse de Salisbury…
– Je connais cette histoire, dit la comtesse en rougissant un peu, je sais que la jarretière d’une dame est devenue l’emblème de l’ordre le plus illustre de la chevalerie d’Angleterre.
– J’eus le bonheur de recevoir cet ordre en même temps que trois des plus nobles chevaliers, le duc de Norfolk, le marquis de Northampton et le comte de Rutland. J’étais alors le moins élevé en dignité des quatre : mais qu’importe ? celui qui veut parvenir au haut d’une échelle doit mettre d’abord le pied sur l’échelon le plus bas.
– Et cet autre collier si richement travaillé, au milieu duquel est suspendu un bijou qui ressemble à un agneau ? Que signifie cet emblème ?
– C’est l’ordre de la Toison-d’Or, institué jadis par la maison de Bourgogne. De grands privilèges y sont attachés, car le roi d’Espagne lui-même, qui a succédé aux honneurs et aux domaines de cette maison, ne peut juger un chevalier de la Toison-d’Or sans le consentement et le concours du grand chapitre de cet ordre.
– C’est donc un ordre appartenant au cruel roi d’Espagne ? Hélas ! milord, n’est-ce pas déshonorer un noble cœur anglais que d’en approcher un tel emblème ? Rappelez-vous les temps malheureux de la reine Marie, où ce même Philippe régnait avec elle sur l’Angleterre, et où des bûchers furent allumés pour les plus nobles, les plus sages et les plus saints de nos prélats ! Et vous, qu’on appelle le champion de la foi protestante, pouvez-vous vous résoudre à porter l’ordre d’un roi tel que celui d’Espagne, d’un tyran attaché à l’Église romaine ?
– Vous ne savez pas encore, mon amour, que nous autres qui voulons voir nos voiles enflées par le vent de la faveur des cours, nous ne pouvons, ni toujours déployer le drapeau qui nous plaît davantage, ni refuser de voguer quelquefois sous un pavillon qui nous déplaît. Croyez que je n’en suis pas moins bon protestant pour avoir accepté, par politique, l’honneur que m’a fait l’Espagne en me conférant son premier ordre de chevalier. D’ailleurs, à proprement parler, il appartient à la Flandre : d’Egmont, Orange, et plusieurs autres, sont fiers de le voir sur le cœur d’un Anglais.
– Vous savez ce que vous devez faire, milord. Et cet autre collier, ce beau bijou, à quel pays appartient-il ?
– Au plus pauvre de tous : c’est l’ordre de Saint-André d’Écosse, rétabli par le feu roi Jacques ; il me fut donné quand on croyait que la jeune veuve Marie, reine d’Écosse, épouserait avec plaisir un baron anglais ; mais la couronne {27} d’un baron libre, d’un baron anglais, vaut mieux qu’une couronne matrimoniale qu’on tiendrait de l’humeur fantasque d’une femme qui ne règne que sur les rochers et les marais de l’Écosse.
La comtesse garda le silence, comme si ce que le comte venait de dire eût éveillé en elle quelques idées pénibles. Son époux reprit la parole :
– Maintenant, mon amour, vos désirs sont satisfaits. Vous avez vu votre vassal sous le costume le plus brillant qu’il pouvait prendre en voyage, car les robes d’apparat ne peuvent se porter qu’à la cour et en cérémonie.
– Eh bien, dit la comtesse, suivant l’usage, un désir
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