Kenilworth
récompense. Approchez, Jeannette.
– Approche donc de milord, répéta la comtesse.
Jeannette, qui, comme nous l’avons dit, s’était retirée par discrétion à quelque distance, pour ne pas gêner le comte et la comtesse dans leur conversation, s’approcha alors en faisant sa révérence respectueuse, et le comte ne put s’empêcher de sourire du contraste que l’extrême simplicité de ses vêtemens et son air sérieux offraient avec une jolie figure et deux yeux noirs qui pétillaient de vivacité en dépit de tous ses efforts pour paraître grave.
– Je vous dois de la reconnaissance, ma belle enfant, lui dit-il, puisque cette dame est contente de vos services. Et, ôtant de son doigt une bague de quelque prix, il la lui présenta, en ajoutant : – Portez ceci pour l’amour d’elle et de moi.
– Je suis charmée, milord, répondit Jeannette d’un air froid, que le peu que je puis faire ait satisfait une dame dont personne ne peut approcher sans désirer de lui plaire ; mais dans la congrégation du digne M. Holdforth nous ne nous permettons pas, comme les filles du monde, de porter de l’or autour de nos doigts, ni de parer notre cou de pierres précieuses comme les filles de Tyr et de Sidon.
– Ah ! ah ! vous appartenez donc à la grave confrérie des Précisions, et je crois bien sincèrement que votre père est membre de la même congrégation. Je ne vous en aime que mieux l’un et l’autre ; car je sais qu’on a prié pour moi dans vos assemblées, et que vous me voulez du bien. D’ailleurs, miss Jeannette, vous pouvez fort bien vous passer de ces ornemens, parce que vos doigts sont déliés et votre cou blanc comme le lis. Mais je vous donnerai en place ce que ni Papiste, ni Protestant, ni Latitudinaire, ni Précisien n’a jamais refusé.
Et en même temps il lui mit en main cinq pièces d’or au coin de Philippe et de Marie.
– Je n’accepterais pas davantage cet or, répondit Jeannette, si je n’espérais pouvoir m’en servir de manière à attirer la bénédiction du ciel sur vous, sur milady et sur moi.
– Faites-en ce qu’il vous plaira, Jeannette, ce sont vos affaires. Mais faites-nous servir notre collation.
– J’ai engagé M. Varney et Foster à souper avec nous, milord, dit la comtesse tandis que Jeannette sortait pour exécuter les ordres du comte ; daignerez-vous m’approuver ?
– J’approuve tout ce que vous faites, Amy, et je suis même charmé que vous leur ayez accordé cette marque d’égards, attendu que Richard Varney m’est tout dévoué ; c’est l’âme de mes conseils secrets : et quant à Foster, ce qu’il fait pour moi en ce moment exige qu’il ait ma confiance.
– Maintenant, milord, j’ai… j’ai une grâce à vous demander, et… et un secret à vous dire, dit la comtesse en hésitant.
– Gardez-les tous deux pour demain matin, mon amour, répondit le comte. J’entends ouvrir la porte de la salle à manger, et comme j’ai fait très vite une assez longue course, un verre de vin ne me sera pas inutile.
À ces mots il conduisit son épouse dans l’appartement voisin, où Varney et Foster les reçurent avec les plus profondes révérences, que le premier fit en courtisan, et le second avec la gravité d’un Précisien. Le comte leur rendit leurs politesses avec la nonchalance d’un homme accoutumé depuis long-temps à recevoir de pareils hommages, et la comtesse avec un air de cérémonie qui prouvait qu’elle n’y était pas encore aussi habituée.
Le festin répondait à la magnificence de l’appartement dans lequel il était servi ; mais aucun domestique ne parut, et Jeannette servit seule les quatre convives. D’ailleurs la table était si abondamment garnie de tout ce qui leur était nécessaire que sa peine ne fut pas bien grande. Le comte et son épouse occupèrent le haut bout de la table, tandis que Varney et Foster se placèrent en-dessous de la salière, côté toujours destiné aux personnes d’un rang inférieur. Foster, intimidé peut-être par une société à laquelle il était si peu accoutumé, ne prononça pas un seul mot pendant tout le repas. Varney, avec non moins de tact que de discernement, prit part à la conversation autant qu’il le fallait pour l’empêcher de languir, sans avoir l’air de vouloir s’en mêler, et entretint la bonne humeur du comte au plus haut degré. La nature l’avait véritablement doué de toutes les qualités nécessaires pour jouer le
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