Kenilworth
rôle auquel il se trouvait appelé, étant d’une part discret et prudent, et ayant de l’autre un esprit subtil et inventif. La comtesse même, quoique prévenue contre lui pour plusieurs raisons, ne put s’empêcher de trouver sa conversation agréable, et fut plus disposée qu’elle ne l’avait encore été à joindre son suffrage aux éloges que le comte prodiguait à son favori. Le repas terminé, le comte et la comtesse se retirèrent dans leur appartement, et le plus profond silence régna dans le château pendant tout le reste de la nuit.
Le lendemain, de bonne heure, Varney remplit auprès du comte les fonctions de chambellan et d’écuyer, quoiqu’il n’occupât que cette dernière place dans sa maison, où des gentilshommes de bonne famille étaient revêtus des mêmes grades que les premiers nobles du royaume dans celle du souverain. Les devoirs de chacune de ces charges étaient familiers à Varney, qui, descendu d’une famille ancienne, mais ruinée, avait été page du comte quand celui-ci avait commencé sa carrière. Il lui avait été fidèle dans l’adversité, avait su se rendre utile quand le comte avait marché à grands pas vers la fortune, et s’était ainsi établi un crédit fondé sur les services déjà rendus et sur ceux qu’il rendait encore, de sorte qu’il était devenu pour son maître un confident presque indispensable.
– Donnez-moi un habit plus simple, Varney, dit le comte en quittant sa robe de chambre de soie à fleurs, doublée d’hermine ; et chargez-vous de ces chaînes, ajouta-t-il en lui montrant ses différens ordres qui étaient sur une table : hier soir leur poids me rompait presque le cou. Je suis à demi résolu à ne plus m’en charger ; ce sont des fers inventés par de rusés coquins pour enchaîner les fous et les dupes. Qu’en pensez-vous, Varney ?
– En vérité, milord, je pense que des chaînes d’or ne ressemblent nullement aux autres, et que plus elles sont lourdes, plus le poids en paraît agréable.
– Cependant, Varney, j’ai presque pris la résolution qu’elles ne m’enchaîneront pas plus long-temps à la cour. Que puis-je gagner par de nouveaux services ? Quelle nouvelle faveur puis-je obtenir au-delà du rang et de la fortune dont je suis déjà assuré ? Quelle cause a fait tomber la tête de mon père ? N’est-ce point parce qu’il n’a pas su borner ses désirs ? Vous savez que j’ai moi-même couru bien des risques, que j’ai glissé bien des fois sur le bord du précipice : j’ai presque résolu de ne plus me confier à la mer, et de m’asseoir tranquillement sur le rivage.
– Et d’y ramasser des coquillages de compagnie avec don Cupidon, dit Varney.
– Que voulez-vous dire, Varney ? demanda le comte avec un mouvement de vivacité.
– Ne vous irritez pas contre votre serviteur, milord. Si la société d’une épouse qui offre une réunion de qualités si rares a pour vous tant de charmes que, pour en jouir avec plus de liberté, vous vouliez renoncer à tout ce qui a été jusqu’ici l’objet de vos désirs, quelques pauvres gentilshommes qui sont à votre service pourront en souffrir ; mais ce ne sera pas Richard Varney ; grâce à vos bontés, il aura toujours de quoi se soutenir d’une manière digne du poste distingué qu’il a rempli dans votre maison.
– Et vous sembliez mécontent quand je parlais de quitter une partie dangereuse, qui peut finir par nous ruiner tous deux.
– Moi, milord ! bien certainement je n’aurais aucune raison de regretter la retraite de Votre Seigneurie. Ce ne sera pas Richard Varney qui encourra le déplaisir de Sa Majesté et qui sera la fable de la cour, quand l’édifice le plus élevé qui ait jamais été fondé sur la faveur d’un prince s’évanouira comme la vapeur du matin. Tout ce que je désire, milord, c’est qu’avant de faire une démarche sur laquelle vous ne pourriez revenir, vous consultiez votre bonheur et votre réputation.
– Parlez, Varney ; continuez, dit le comte, voyant que son favori semblait craindre d’en dire davantage. Je vous ai avoué que je n’ai pas encore pris un parti définitif, et je veux peser avec soin le pour et le contre.
– Eh bien ! milord, supposons donc la démarche faite ; qu’il ne soit plus question du mécontentement du trône, des sarcasmes des courtisans, des gémissemens de vos amis. Vous êtes retiré dans un de vos châteaux les plus éloignés, si loin de la cour que vous
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