Khadija
découvrait lui-même le mystère qu'il venait d'offrir. Il reposa la lampe, désigna le corps d'albâtre de ses doigts longs et élégants.
— Al Ozzâ la très puissante. Voilà qui est cette femme. Al Ozzâ, la grande déesse du savoir de la nuit, dont l'astre brille dans le ciel avant même que l'obscurité se pose sur nous.
Sa main se referma sur le lion bondissant de sa dague. Un instant, debout et cambré, il toisa Khadija et les femmes de la maison comme il aimait toiser les serviteurs et les épouses chez lui, en maître tout-puissant qu'il se savait, capable de prendre la vie ou de l'épargner, comme bon lui semblait.
La victoire de Muhammad
— Les chamelles ! Les chamelles ! Muhammad ibn `Abdallâh, le roi des vieilles chamelles !
Al Sa'ib riait, la poitrine vibrante de soulagement et d'admiration. Dès les premiers hurlements, Zimba le guide et lui avaient rebroussé chemin, se précipitant vers la caravane, aidant Abu Nurbel et les esclaves à éloigner les précieux chameaux et les femmes hors de portée des pillards.
Muhammad venait de répondre à leurs questions angoissées. Oui, le piège des chamelles avait fonctionné. Les pillards avaient lancé leurs chevaux droit dedans. Ils étaient morts ou débandés avec le reste de la razzia. Yâkût et ses mercenaires n'avaient pas dû perdre plus d'un ou deux hommes. À peine quelques blessés, sans doute. Ils poursuivaient les malfaisants pour les tailler en pièces avant que la pleine nuit ne les sauve. La caravane était en sécurité.
Al Sa'ib et Abu Nurbel ne pouvaient détacher leurs regards de Muhammad, comme s'ils le reconnaissaient à peine sous la croûte de sang et les vêtements déchirés. Al Sa'ib s'esclaffa.
— On va entendre chanter Yâkût al Makhr ! Avec tes vieilles chamelles, tu lui as volé son beau combat, Ibn `Abdallâh. Tu ne t'es pas fait un ami.
Le vieil Abu Nurbel trancha l'air de la main.
— Yâkût al Makhr est payé, et beaucoup, pour protéger notre caravane, pas pour le plaisir des combats. Ibn `Abdallâh a fait son devoir.
— Ibn `Abdallâh lui a donné une leçon, oui ! gloussa Al Sa'ib. Et Yâkût n'est pas un homme qui prend plaisir à apprendre.
Il n'ajouta rien de plus. Ce n'était pas la peine. La réputation de Yâkût al Makhr était connue de tout le Hedjaz. Qu'il faille attaquer ou défendre, nul ne mettait en cause son courage. On le disait goûtant toutes les cruautés. Ce que ses yeux laissaient parfois deviner. C'était un homme d'orgueil plus que de ruse, davantage porté aux mouvements d'humeur qu'à l'obéissance. Et fort soucieux de son apparence et de sa beauté, la barbe aussi soignée qu'un jardin de Sham, les paupières épaisses de khôl. Une balafre ancienne serpentait de sa tempe à sa narine. Il en enduisait l'ourlet clair avec une pommade parfumée qui plaisait aux femmes, prétendait-il.
Sa renommée aux armes avait attiré auprès de lui des jeunes hommes rêvant de partager sa gloire. Ils formaient ainsi une petite troupe très redoutée. Les marchands de Mekka les payaient grassement pour défendre leurs caravanes plutôt que les piller. Ce qu'avaient fait le vieil Abu Nurbel et saïda Khadija, ainsi que, quoiqu'en rechignant devant la somme, le négociant Al Sa'ib. Et, bien sûr, pour Yâkût al Makhr, un Muhammad ibn `Abdallâh ne valait pas davantage qu'un Bédouin. Un homme à peine plus respectable qu'un esclave et à qui ses oncles, et maintenant la riche Khadija, faisaient l'aumône d'un emploi.
Oui, Al Sa'ib avait raison. Si ce soir Yâkût, sans autre blessure que celle de son infini orgueil, les rejoignait devant les tentes, il y aurait un nouveau combat à livrer.
Comme si souvent, Abu Nurbel parut avoir deviné les pensées de Muhammad. Sur un tout autre ton, il déclara :
— Qu'Al'lat garde sa paume sur toi pour l'éternité. Ce qu'on te doit, on s'en souviendra.
Al Sa'ib déclara qu'il fallait trouver un endroit sûr avant la nuit.
— Rien ne garantit que les pillards ne reviendront pas pour se venger. Et, cette fois, plus de chamelles pour nous défendre.
— Juste, approuva Abu Nurbel. As-tu une idée, guide ?
Zimba ne répondit pas sur-le-champ. Ses yeux fouillèrent le reg et les replis de la grande falaise de basalte, maintenant creusés d'ombres par le crépuscule.
— Une fois, je suis allé par là, dit-il en désignant un point presque en face d'eux. Trouvé un peu d'eau. En hiver, après la saison pluies. Il y a
Weitere Kostenlose Bücher