La 25ème Heure
dit Iohann Moritz. Il est possible que j’en connaisse au moins un. Quelle nationalité ont-ils ?
– Il y en a de toutes les nationalités, dit Traian en regardant les drapeaux dessinés sur les wagons et les petits drapeaux des boutonnières. La femme qui avale du pain beurré et du saucisson et dont les cuisses sont tout aussi blanches que le pain dans lequel elle mord, est Danoise. Derrière elle, il y a une Française. Elle est belle. Elle a des yeux noirs.
– Est-ce qu’il y a d’autres Français encore ? demanda Moritz.
– Tout un groupe, près de notre wagon, répondit Traian. Il y a aussi des Belges et des Italiens.
– Je veux voir les Français ! dit Iohann Moritz avec impatience.
Sa vieille passion pour les Français s’était réveillée.
Traian Koruga le souleva pour qu’il puisse les voir.
– Ce sont des Français ! dit Moritz heureux. Celui qui est là, près de l’Italien, ressemble comme deux gouttes I d’eau à Joseph. Vous le voyez ?
– Quel Joseph ?
– Mon ami Joseph, dit Iohann Moritz. Je ne vous ai pas parlé de lui ? Celui que j’ai aidé à s’évader. Si je n’étais pas sûr que Joseph soit en France à l’heure actuelle, je croirais que c’est lui. Il lui ressemble tellement ! Voulez-vous lui dire quelque chose ?
– Que veux-tu que je lui dise ? demanda Traian.
– N’importe quoi, répondit Moritz. Il ressemble tellement à Joseph. Moi je ne sais pas parler le français. Mais je voudrais lui dire quelque chose. Dites-leur bonjour et bon retour en France !
Iohann Moritz ne pouvait croiser un Français sans lui dire un mot, ou au moins lui sourire amicalement. "
– Tenez, il est tout près de nous, fît Moritz. Dites-lui quelque chose, s’il vous plaît !
Traian Koruga se taisait toujours. Mais Iohann Moritz ne put plus se contenir et cria en allemand :
– Bon retour en France !
Il avait parlé avec douceur. Tout son visage rayonnait de joie parce qu’il avait pu s’adresser à quelqu’un qui était français et donc lui était cher.
Dans le groupe, tous cessèrent brusquement de parler, s’immobilisèrent et levèrent les regards vers la fenêtre où se trouvait Iohann Moritz.
Traian Koruga entendit l’homme qui ressemblait à Joseph demander en français :
– Qu’est-ce qu’il nous veut, ce cochon de nazi ?
Les femmes et les hommes qui se trouvaient sur le quai fixaient du regard Iohann Moritz qui leur souriait amicalement de derrière les barreaux. – Le cochon de nazi veut probablement une cigarette !
Le jeune homme qui ressemblait à Joseph mit la main la poche, mais son geste s’arrêta brusquement. Quelqu’un, près de lui, se pencha, prit une pierre et la jeta en plein dans la fenêtre où Iohann Moritz continuait à sourire. La pierre passa à travers les barreaux et tomba nu milieu du wagon, frappant un des prisonniers. – La voilà, ta cigarette ! Il y a trois ans que je suis en Allemagne à cause de toi !
La seconde pierre alla heurter la paroi du wagon. Puis la troisième. Une pluie de pierres se mit à pleuvoir sur leur wagon. Les prisonniers s’allongèrent sur le plancher, s’éloignant autant que possible de la fenêtre. Les pierres tombaient comme grêle – les jurons et les cris retentissaient comme si le wagon avait été pris d’assaut.
C’étaient des voix de femmes, d’hommes, d’enfants, de révoltés. C’étaient des cris en français, en italien, en russe, en danois, en flamand, en norvégien. Des cris dans toutes les langues du monde. Tous ces jurons coulaient, exprimaient la même haine déchaînée et le mot qui suivait le parcours des pierres pour frap per Moritz était le même dans toutes les langues : cochon de nazi, criminel nazi, assassin nazi, nazi, nazi, nazi…
Tous les gens qui se trouvaient dans le train de " personnes déplacées " étaient descendus et s’étaient joints aux autres pour jeter des pierres sur le train des prisonniers.
Les sentinelles et la police militaire essayèrent de rétablir l’ordre. Mais l’attaque était trop violente pour pouvoir être calmée. Elle gagnait en proportions, devenait de plus en plus grave. La police se mit à tirer des coups de feu en l’air. Un long cri de révolte jaillit, unanime, de toutes ces poitrines d’esclaves libérés, contre la police qui protégeait les nazis du lynchage.
Iohann Moritz était demeuré à la fenêtre même après que la première pierre eut sifflé à ses oreilles. Il
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