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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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certains moments, la main de Traian s’était retirée, et il avait posé son oreille contre le pansement pour écouter. Parfois aussi, le cœur de Moritz avait battu si lentement qu’il n’était plus possible d’en percevoir les battements avec la main. Même en y posant l’oreille, Traian l’avait à peine entendu.
    Et maintenant, Iohann Moritz parlait.
    Traian Koruga se sentait heureux comme si c’était lui qui était revenu de loin.
    Mais Iohann Moritz voulait boire. Tout comme Jésus sur la croix, il avait soif. Et dans le wagon, il n’y avait pas d’eau.
    Il y avait vingt heures que les prisonniers y étaient enfermés, sans avoir rien eu à boire ou à manger et sans la permission de sortir pour faire leurs besoins.
    L’intérieur du wagon puait et empestait les excréments, l’atmosphère était devenue épaisse et acre.
    Le plancher du wagon était imbibé d’urine. Moritz était couché dans l’urine. Il avait uriné lui aussi sur le plancher, sans s’en rendre compte. Mais il ne sentait rien. Jusqu’à ce moment, il n’avait même pas ouvert les yeux. Il avait simplement entrouvert les lèvres.
    – J’ai soif ! dit Iohann Moritz.
    – Je regrette, mais il n’y a pas d’eau. Il n’y a rien à boire, dit Traian Koruga.
    Il se demandait ce qu’il pourrait bien donner à Moritz pour lui mouiller les lèvres. Il n’y avait rien à boire, Traian se rappela avoir lu quelque part que les soldats de Gengis Khan, lorsqu’ils traversaient les Steppes et ne trouvaient rien à boire et à manger, descendaient de leurs selles, ouvraient avec leur couteau une veine du cheval – une veine du sabot – et suçaient du sang. Puis ils pansaient l’endroit et partaient plus loin. Et durant des jours et des semaines, les soldats de Gengis Khan ne mangeaient et ne buvaient rien d’autre que ces quelques gouttes de sang chaud.
    Traian était obsédé par cette image. Il aurait voulu offrir à Iohann Moritz quelques gouttes de son sang pour épancher sa soif. Le sang aurait pu lui faire du bien.
    – J’ai soif ! dit Iohann Moritz d’une voix implorante.
    – Il n’y a rien à boire, mon vieux Moritz, dit Traian. Le seul liquide que je puisse trouver et dont je t’offrirais avec plaisir quelques gouttes, c’est mon propre sang. Mais toi, tu ne dois pas boire du sang. L’Homme qui boit du sang est un vampire. Il a la figure d’un homme, mais ce n’en est pas un. C’est une machine, c’est le diable, c’est la foule. Il a tout d’un homme, sauf l’âme.
    – J’ai soif ! murmura Moritz.
    – Je le crois ! dit Traian. Mais malgré tout, tu ne dois pas boire du sang. Et je n’ai rien d’autre à t’offrir. Tu es le seul Homme de tous ceux qui m’entourent à n’avoir jamais bu encore de sang humain. Tu m’entends ? Tous les autres ont bu du sang et maintenant ce sont des vampires. Ce ne sont plus des hommes. De tous ces prisonniers, de toutes ces sentinelles, de tous ces ex-prisonniers qui t’ont jeté des pierres, aucun n’est un homme. Il n’y a que toi à être resté un homme, parce que tu aimes encore les hommes.
    – J’ai soif !
    – Je le crois. Je crois que tu as soif et que tu mourras peut-être si tu ne bois pas, dit Traian. Mais il vaut mieux mourir que de vivre comme eux. Tu ne dois pas boire de sang humain. Comprends-tu bien ce que je te dis là ? – J’ai soif ! murmura encore une fois Iohann Moritz.
     
     
     
132
     
     
     
    Pétition de Iohann Moritz :
    Je soussigné Iohann Moritz, du village de Fântâna de Roumanie, envoie cette pétition aux dirigeants de ce pays dans lequel je me trouve, pour leur demander pourquoi ils me gardent prisonnier et me torturent comme seul fut torturé le Christ sur la croix.
    Si je ne vous ai pas posé cette question plus tôt – comme j’aurais dû le faire – c’est que je suis d’un naturel patient. Je suis laboureur. Et les laboureurs savent attendre.
    J’ai donc attendu tout un printemps. J’ai attendu tout un été. Et tout un long hiver.
    Maintenant c’est de nouveau le printemps. Je n’ai plus que la peau et les os. Mon âme est toute noire de chagrin et de douleur. Noire comme du charbon ou de l’encre.
    À présent, je ne peux plus attendre. Et c’est pourquoi je vous demande : pourquoi me gardez-vous prisonnier ?
    Je n’ai pas volé, je n’ai pas tué, je n’ai trompé personne et je n’ai rien commis de ce que défendent la loi et l’Église.
    Si je ne suis ni criminel, ni voleur

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