La 25ème Heure
n’avait pas bougé et n’avait pas cessé de sourire, même aux moments les plus violents de l’attaque. Il ne comprenait rien à tout ce qui se passait. Et, même s’il avait compris, il ne serait jamais arrivé à croire que le Français qui ressemblait à Joseph puisse lui jeter des pierres et veuille lui casser la figure.
Pendant que Iohann Moritz regardait, les yeux grands ouverts, la foule lui jeter des pierres, les prisonniers du wagon l’attrapèrent par les jambes et l’arrachèrent à la fenêtre, le renversant sur le plancher. Chacun voulait le frapper. Toutes les mains le cherchaient, s’accrochaient à lui pour lui déchirer la chair, pour le mettre en morceaux.
Iohann Moritz fut foulé par des centaines de pieds, des pieds qui le piétinaient avec haine, avec désespoir, avec bestialité, pendant que la grêle de pierres continuait à tomber au-dessus d’eux.
Les prisonniers ne lui pardonnaient pas d’avoir déchaîné la haine et l’attaque des esclaves libérés qui se trouvaient sur le quai. Ils voulaient le mettre en morceaux.
Moritz n’était pas entouré d’êtres humains, mais d’une masse d’hommes, cette bête d’Apocalypse à mille jambes qui écrasait son corps, sa chair chaude d’être vivant.
Et dehors, c’était toujours la masse, la même bête d’Apocalypse à mille bras, qui lui jetait des pierres.
Le sang de Iohann Moritz se mit à jaillir par le nez et par la bouche.
Iohann Moritz eut l’impression qu’il allait mourir. Dès que cette idée lui devint familière, il ne sentit plus les bottes qui l’écrasaient, ni les poings qui le frappaient. Il ne ressentit plus aucune douleur. La fin de ses souffrances approchait. Il pensa au prêtre Koruga, à l’église de Fântâna et à l’icône de la Vierge. La paix régnait dans son corps et dans son âme. Il entendait les coups qui essayaient d’enfoncer les parois du wagon et il savait que tous ces coups lui étaient destinés – à lui, à lui tout seul.
Tout le monde voulait l’écraser. Tout le monde désirait la mort de Iohann Moritz. Maintenant, il le savait. Il sentait que le monde cesserait d’exister et qu’il n’y aurait plus de progrès en ce monde tant qu’il demeurerait en vie.
Il était responsable de tout le mal fait sur la surface de la terre. C’était lui, Iohann Moritz, qui était le seul coupable. Et c’est pourquoi tous ces gens voulaient le tuer. C’est pourquoi il était foulé aux pieds par les prisonniers. C’est pourquoi il était frappé par les ex-prisonniers. C’est pourquoi il avait été arrêté par les soldats. La foule ne se calmerait pas tant qu’il serait encore en vie. La police militaire ne pourrait pas calmer les D. Ps. avant qu’il ne soit tué, lui, Iohann Moritz. Les prisonniers du wagon ne seraient pas calmés avant de le voir mort. Les soldats munis de mitraillettes et de tanks ne pourraient rentrer chez eux, de l’autre côté de l’Océan, avant que lui, Iohann Moritz, ne soit mis en pièces.
Il devait mourir. Il était l’Homme. Il ne pouvait être pardonné. " En quoi ai-je été coupable, mon Dieu ? " se demanda-t-il. Puis il pensa : " J’aime les Français et je voulais leur dire une parole d’amitié. Et c’est à cause de cela qu’ils me tuent. Jésus aussi a été tué parce qu’il aimait les Hommes. "
Moritz se souvint des paroles de Traian Koruga :
Nous gravissons le Golgotha en locomotive. Nous gravissons un Golgotha mécanique et motorisé. "
Iohann Moritz eut l’impression d’être sur la croix, et il sentit la nuit tomber. Il faisait noir, noir, noir…
131
Iohann Moritz se réveilla sur le tard, la poitrine et la tête bandées. Sa tête reposait contre l’épaule de Traian Koruga. Moritz sentait contre sa joue le contact direct d’une autre peau. C’était l’épaule nue de Traian qui n’avait plus de chemise.
Il aurait voulu demander à Traian pourquoi il avait enlevé sa chemise, mais il n’en avait pas la force.
– J’ai soif ! dit Iohann Moritz.
Traian Koruga fît semblant de ne rien entendre.
– J’ai soif ! répéta Iohann Moritz, qui demeurait ainsi depuis quelques heures, évanoui dans les bras de Traian,
Entre-temps, Traian l’avait pansé, déchirant sa chemise, puis il avait trouvé une place et l’avait étendu par terre.
Iohann Moritz n’avait rien dit. Traian avait tenu sa main contre la poitrine de Moritz pour sentir battre son cœur, faible ment. À
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