La 25ème Heure
et ni malfaiteur, pourquoi me gardez-vous enfermé ?
Vous m’avez enfermé et torturé jusqu’à ce que je ne sois plus qu’une ombre sur le sol.
J’ai été enfermé dans quatorze camps. Je crois que le moment est venu de vous demander ce que vous avez à me reprocher.
Pour moi le plus difficile est de me décider. Mais à présent je suis décidé.
J’envoie cette pétition par la poste aux dirigeants de ce pays. Je l’envoie aussi par la sentinelle qui garde la porte de la prison. Elle va parvenir aux gouvernants, même si elle devait pour cela faire le tour du monde. Les dirigeants doivent entendre ma requête même s’ils ont les oreilles bouchées.
Je collerai ma pétition sur toutes les portes de la prison. Je la jetterai avec une pierre dans la rue.
J’attraperai les oiseaux qui volent au-dessus du camp et j’attacherai ma pétition à leurs pattes pour qu’ils la portent à travers la terre.
À partir de ce moment, je ne m’arrêterai plus de crier jusqu’à ce que justice soit faite. Vous m’enfermerez peut-être dans la cave de la prison, pour qu’on ne puisse m’entendre. Mais, où que je sois, je ne cesserai de crier. Si je n’ai pas un crayon et du papier j’écrirai avec mes ongles sur le mur de la prison. Lorsque mes ongles seront usés et que ma chair sera à vif, j’attendrai qu’ils repoussent et j’écrirai de nouveau.
Si vous me fusillez, je n’irai ni en Enfer, ni en Paradis, ni en Purgatoire. Mon âme demeurera sur la terre et vous poursuivra sans cesse.
Elle vous hantera comme une ombre. Je troublerai cent fois la nuit votre sommeil et le sommeil de vos maîtresses, pour vous crier que c’est moi qui ai raison.
Et vous ne pourrez pas fermer les yeux. Jusqu’à la fin de vos jours vous ne pourrez plus écouter la musique et les paroles d’amour – vous ne pourrez plus rien écouter – vos oreilles résonneront de mes paroles à moi, Iohann Moritz.
Moi je suis un homme, et si je n’ai rien fait de mal personne n’a le droit de me garder enfermé et de me torturer. Ma vie et mon ombre m’appartiennent et qui que vous soyez, quels que soient les tanks, les mitrailleuses, les avions, les camps et l’argent que vous possédez, vous n’avez pas le droit de toucher à ma vie et à mon ombre.
De toute ma vie, je n’ai désiré que peu de choses : pouvoir travailler, avoir où m’abriter avec ma femme et mes enfants et avoir de quoi manger.
C’est à cause de cela que vous m’avez arrêté ?
Les Roumains ont envoyé le gendarme pour me réquisitionner – comme on réquisitionne les choses et les animaux. Je me suis laissé réquisitionner. Mes mains étaient vides et je ne pouvais lutter ni contre le roi, ni contre le gendarme qui avait des fusils et des pistolets. Ils ont prétendu que je m’appelle Iacob et non Ion comme m’avait baptisé ma mère. Ils m’ont enfermé avec des juifs dans un camp entouré de barbelé, – comme pour le bétail, – et m’ont obligé à faire des travaux forcés. Nous avons dû coucher comme le bétail avec tout le troupeau, nous avons dû manger avec tout le troupeau, boire le thé avec tout le troupeau et je m’attendais à être conduit à l’abattoir avec tout le troupeau. Les autres ont dû y aller. Moi je me suis évadé.
C’est à cause de cela que vous m’avez arrêté ? Parce que je me suis évadé avant d’être conduit à l’abattoir ?
Les Hongrois ont prétendu que je ne m’appelais pas Iacob mais Ion et ils m’ont arrêté parce que j’étais Roumain. Ils m’ont torturé et m’ont fait souffrir. Ensuite ils m’ont vendu aux Allemands. Les Allemands ont prétendu que je ne m’appelais ni Ion, ni Iacob, mais Ianos et ils m’ont torturé de nouveau, parce que j’étais Hongrois. Puis un colonel est venu qui m’a dit que je ne m’appelais ni Iacob, ni Iankel – mais Iohann – et il m’a fait soldat. D’abord il a mesuré ma tête, il a compté mes dents et a mis mon sang dans des tubes en verre. Tout cela pour démontrer que j’ai un autre nom que celui dont m’a baptisé ma mère. C’est à cause de cela que vous m’avez arrêté ?
Comme soldat, j’ai aidé des prisonniers français à s’évader de prison.
C’est pour cela que vous m’avez arrêté ?
Lorsque la guerre a pris fin et que j’ai cru que j’aurais, moi aussi, droit à la paix, les Américains sont venus et ils m’ont donné, comme à un seigneur, du chocolat et des aliments de chez eux.
Puis, sans
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