La 25ème Heure
dire un mot, ils m’ont mis en prison. Ils m’ont envoyé dans quatorze camps. Comme les bandits les plus redoutables qu’ait jamais connus la terre.
Et maintenant je veux moi aussi savoir : pourquoi ?
Est-ce que vous n’aimeriez pas mon nom : Ianos ou Ion, ou Iohann ou Iacob ou Iankel ? Est-ce que vous voulez vous aussi me le changer ? Allez-y. Je sais à présent que les hommes n’ont plus le droit de porter le nom qu’ils ont reçu lors de leur baptême. Mais je veux que vous soyez prévenus : à présent, je ne peux plus attendre. Je veux savoir la raison pour laquelle je suis arrêté et torturé.
J’attends votre réponse et je vous salue avec respect. – Moritz Ion, Iohann-Iacob-Iankel-Ianos, laboureur et père de famille.
– Pourquoi pleures-tu, Moritz ? demanda Traian Koruga après avoir fini de lire la pétition.
– Je ne pleure pas.
– Je vois des larmes dans tes yeux. Pourquoi pleures-tu ?
– Je ne sais pas trop moi-même.
– Tu as peur d’envoyer ta pétition ? demanda Traian Koruga. Tout ce que j’ai écrit n’est pas vrai ?
– Je n’ai pas peur, répondit Moritz. Tout ce que vous avez écrit est vrai.
– Alors pourquoi pleures-tu ?
– C’est pour cela que je pleure, dit Moritz. Parce que c’est trop vrai.
133
Trois jours après l’envoi de la pétition, Iohann Moritz fut appelé à l’interrogatoire. Traian Koruga lui prêta sa chemise et son pantalon.
– Nous avons vaincu, dit Traian. Notre pétition a produit son effet.
Les yeux de Iohann Moritz brillaient. Il se voyait déjà libre.
– Nous avons vaincu. Et c’est à vous que je le dois, dit Moritz. Tout ce que vous avez écrit dans la pétition était tellement vrai !
– N’aie pas peur, dit Traian. Ce sont eux qui doivent avoir peur, parce que ce sont eux les coupables.
Moritz partit en souriant à l’interrogatoire.
À midi, il fut de retour. Traian l’attendait devant la porte.
– Comment cela s’est-il passé ? Est-ce qu’ils ont promis de te mettre en liberté ?
Moritz gardait les yeux baissés. Il prenait toujours un air très mystérieux lorsque quelqu’un lui posait une question.
– Je vous raconterai plus tard. Maintenant je ne peux pas.
– Est-ce que tu es devenu fou, par hasard ? Je suis là depuis des heures à t’attendre et tu viens me dire que tu me raconteras tout à l’heure ?
Iohann Moritz avait ramassé des mégots de cigarettes dans le bureau. Il les sortit de sa poche, les défit lentement et fit du tabac deux petits tas égaux, l’un pour lui et l’autre pour Traian. Puis il se mit à rouler une cigarette dans du papier journal.
– Il vaut mieux que je vous dise tout plus tard, monsieur Traian.
– T’ont-ils dit qu’ils n’allaient pas te relâcher ?
– Non, ils ne m’ont pas dit cela.
– Est-ce qu’ils t’ont injurié ?
Moritz continuait à rouler sa cigarette.
– Ils ne m’ont pas injurié.
– Est-ce qu’ils t’ont battu ?
– Non !
– Alors pourquoi ne parles-tu pas ? demanda Traian. Je vois qu’ils ne t’ont rien fait de mal.
– Non, rien ! dit Iohann Moritz en allumant sa cigarette.
– Est-ce que ton tour n’est pas venu ? demanda Traian. Ce n’est pas un malheur. Ils t’appelleront demain.
– Mon tour est venu.
– Ils t’ont interrogé ?
– Oui.
La langue de Iohann Moritz semblait paralysée. Il fallait lui sortir chaque mot de la bouche. Traian perdit patience.
– Raconte-moi absolument tout. Commence par le commencement.
– J’ai été le premier, dit Iohann Moritz. Lorsque je suis entré dans le bureau, il m’a dit de prendre place. Il y avait une chaise devant la table.
– Mais cela commence très bien, dit Traian. S’ils t’ont invité à t’asseoir c’est bon signe. Ils avaient probablement regardé ton dossier et ils avaient vu que tu étais innocent. Je ne crois pas qu’ils invitent tout le monde à prendre place. Continue !
– C’est un sergent qui m’a interrogé.
– Il était poli ?
– Oui.
– Quelle a été la première question ?
– Il a regardé d’abord les papiers. Puis il m’a demandé : " C’est bien vous Iohann Moritz ? " Moi j’ai répondu : " Oui. " Il m’a re gardé. Puis il a de nouveau regardé les papiers. Et il m’a demandé : " Comment écrivez-vous Moritz, avec "t" ou avec "tz" ? Moi je lui ai répondu que je l’écrivais des deux manières. En Roumanie je
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