La 25ème Heure
qu’il venait d’entendre démontrait le contraire. Ils avaient menti tous les deux. Le prisonnier était fou.
– Vous avez raison, monsieur Koruga, dit le commandant. Dans ces conditions-là, il serait impossible que vous ayez encore envie de manger.
– Ne partez pas, dit Traian. Je me lève avec beaucoup de difficulté. Regardez par la fenêtre et dites-moi si la perquisition a pris fin.
– Non, pas encore, répondit le lieutenant Jacobson.
Traian Koruga s’émerveilla de nouveau. " Comment est-ce qu’un homme pouvait encore, après avoir regardé la perquisition qui avait lieu dans la cour, se rendre tout droit à table comme Jacobson allait le faire ? "
Il était midi.
– La perquisition n’est pas encore finie, dit Traian. Elle ne finira pas bientôt. Elle ne fait que commencer. D’abord vous avez cherché de l’or dans les valises, dans les maisons, dans les hardes, dans les poches, dans les chaussures, dans les doublures, dans les caleçons. Maintenant vous le cherchez dans les bouches des hommes, sous leurs aisselles et dans leurs derrières. Partout. Les hommes doivent se mettre tout nus. Mais ce n’est que le début. Demain vous arracherez la peau pour chercher l’or qui est dessous. Puis vous arracherez les muscles des os pour chercher de l’or. Puis vous briserez les os pour voir s’ils ne cachent pas des pièces d’or. Vous presserez les cerveaux des hommes. Vous farfouillerez leurs tripes. Vous les dépècerez. Tout cela pour chercher de l’or. Des pièces d’or, des bagues en or, des alliances en or. Vous briserez les cœurs en petits morceaux pour chercher de l’or. L’or ! L’or ! L’or ! Aujourd’hui nous sommes au début : vous n’en êtes encore qu’à la peau. Mais la peau sera arrachée. La perquisition continuera…
Le lieutenant Jacobson n’était plus dans la pièce. Traian Koruga se tourna vers le mur.
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Pétition n° 6. – Sujet : économique (valeurs trouvées sur les prisonniers).
Au cours des perquisitions effectuées sur les prisonniers, on a confisqué les bagues, les alliances, les bracelets, les montres, les Stylos, l’argent et tous les objets de valeur.
Bien que les perquisitions soient faites avec soin jusqu’à l’épiderme, elles demeurent cependant imparfaites.
J’ai pu observer aujourd’hui que certains prisonniers avaient tout autour de leur tête une couronne ressemblant aux auréoles des saints comme on en peint sur les icônes. Les saints, je le sais, ont des couronnes en or. Celles des prisonniers ne sont ni en or, ni en aucun autre métal précieux. S’il en avait été ainsi, ces couronnes ou – si vous préférez – ces auréoles auraient été déjà confisquées. Bien que ne contenant pas de métal précieux, leur valeur n’est pas à dédaigner.
Personnellement, je ne suis pas homme de science, mais je crois que ces couronnes doivent avoir une grosse valeur. Elles ne peuvent se former que grâce à des radiations qui émanent de l’Esprit de certains prisonniers.
Il est intéressant de remarquer que dans la Société technique occidentale de tels phénomènes ne se produisent pas. Ces phénomènes sont, paraît-il, l’apanage des Sociétés non civilisées. Mais cela n’a aucune espèce d’importance. Du moment que ces couronnes représentent une certaine valeur, elles ne doivent pas demeurer en possession des prisonniers. Il est formellement interdit aux prisonniers de posséder des objets de prix.
Je crois me souvenir que, même au cours de l’histoire, ce genre de couronnes – ou auréoles – a fait l’objet de confiscations. Les conquérants barbares de l’espèce de Gengis-Khan appréciaient à leur juste valeur ces ornements découverts chez certains prisonniers, et les leur arrachaient. À cette époque de l’histoire on ne disposait pas des moyens actuels de transport. Pour ne pas abîmer la forme et la luminosité de ces auréoles, Gengis-Khan, qui voulait les avoir à sa cour, a donné l’ordre que la tête soit emportée en même temps que l’auréole. Les têtes auréolées des prisonniers de Chine et d’Arabie ont été enfilées sur une ficelle et attachées à la selle du cheval, puis emportées en Mongolie. Mais en route, probablement à cause des conditions atmosphériques et des changements brusques de température, l’auréole a disparu, et toutes ces têtes coupées demeurées sans ornements ont dû être jetées. Elles avaient d’ailleurs
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