La 25ème Heure
réprimande. Traian Koruga se dégagea et ne répondit rien.
– Tu ne veux donc rien nous raconter ! dit l’infirmier. Tu es de ceux qui se taisent.
Il lui tapota la joue.
– Si ça te chante, tu peux continuer à t’amuser tout seul avec l’araignée que tu as au plafond.
Puis il alla se rasseoir sur sa chaise près de la porte.
155
– Ils m’ont enfermé dans une maison de fous parce que j’ai fait la grève de la faim.
Traian se mordit les lèvres. Toute sa fatigue avait disparu. Une envie folle de lutter s’était emparée de lui.
" Je suis dans une maison de fous ! se dit-il. Leur plan n’est pas mauvais, je ne l’avais jamais rencontré) auparavant. Même pas dans les romans décrivant les tortures des prisons russes. Tous les prisonniers médecins et professeurs universitaires du camp ont signé un certificat comme quoi j’étais fou. Ils veulent prouver que ma déclaration de grève est un acte de folie. Mais dans la vie il y a certaines choses qui ne se terminent pas aussi vite, et surtout d’une façon aussi simple. Je continuerai à lutter. "
Traian Koruga serra les poings…
" Maintenant je dois leur prouver que je suis lucide ", se dit-il. Et il s’approcha de l’infirmier. Il chancelait et s’appuyait contre le mur.
– Tu es venu me raconter ta petite histoire ? demanda l’infirmier. Je savais bien que tu allais venir me la raconter.
Il riait.
– Tous ceux qui viennent ici ont une petite histoire à raconter. Mais maintenant je n’ai pas le temps de t’écouter, mon petit. Tu me la raconteras demain, ou après-demain, dans un mois ou peut-être dans une année. Tu auras tout le temps pour me la raconter, ton histoire.
L’infirmier avait un journal à la main. Il voulait continuer à lire.
– Ton ht est là, au fond, dit-il. Vas-y et reste tranquille. Ne va pas te mettre dans un autre lit. Tu as compris ?
– Je voulais vous demander quelque chose, dit Traian.
– Je sais bien que tu veux me demander quelque chose, dit l’infirmier ennuyé. Mais maintenant je n’ai pas le temps. Va et mets-toi sur le lit. Tu dois être un garçon bien sage. Sinon tu recevras une petite raclée avec la cravache que je vais te montrer.
Il tira du tiroir de la table une cravache de cavalerie et la lui montra. Puis il la remit à sa place.
Traian Koruga se rendit compte que toute parole était inutile. Tout ce qu’il pourrait dire ne serait même pas écouté et passerait pour discours de fou. Il revint vers son ht, et s’y étendit.
156
" Ce n’était pas assez d’être en prison. Maintenant me voilà dans un hospice de fous. " Traian ferma les yeux.
Il aurait voulu organiser son plan d’action pour le lendemain. Mais il ne s’en sentait pas capable. Il s’endormit, les poings serrés. – Lève-toi !
Traian tressaillit. Il venait à peine de s’assoupir. Devant lui se trouvait l’infirmier qui l’avait transporté la veille sur le brancard et qui lui avait dit qu’ils étaient arrivés sur la Voie lactée. Traian avait reconnu sa voix.
– Donne-moi tout ce que tu as dans tes poches.
Traian se leva. Il mit les mains dans ses poches. Sa main tremblait. Il retira son mouchoir et le tendit au gardien. Puis il tira d’une autre poche sa pipe et la lui tendit également. Dans la poche d’en haut il avait une petite icône. L’icône de saint Antoine. Il la regarda et la donna au gardien…
– Tu n’as plus rien dans tes poches ?
– Non, répondit Traian. C’est tout ce que j’ai.
– Lève les bras ! ordonna l’infirmier.
Traian leva ses bras jusqu’à la hauteur de sa poitrine. Ses yeux étaient couverts d’un léger voile et il lui était impossible de les lever davantage.
– Plus haut ! ordonna le gardien.
– Je ne peux pas, répondit Traian. Je me sens très mal. J’ai un étourdissement.
L’infirmier lui prit les bras et les lui mit au-dessus de la tête. Traian sentait ses propres mains peser comme des pierres sur le sommet de son crâne. Il ne s’était jamais imaginé que ses propres mains puissent lui paraître si lourdes. Il ne pouvait même pas les déplacer.
L’infirmier fouilla ses poches. Traian sentait les mains étrangères se promener non dans ses poches, mais sous la peau, dans sa chair même.
– Tu peux baisser les mains.
L’infirmier prit les mains et les lui fit tomber le long du corps.
– Enlève tes lacets.
– Laisse-le tranquille, dit
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