La 25ème Heure
était grand, bien qu’un peu voûté et très maigre. On aurait pu compter de loin ses côtes – un squelette couvert de peau. La barbe du Métropolite était blanche. C’était la seule chose blanche de toute la cour. Les yeux recevaient de la lumière en la regardant. Elle était d’une blancheur douce, héraldique. Les soldats se mirent à rire en le voyant arriver.
Mais le Métropolite n’avait pas l’air de les voir. Il regardait le ciel par-dessus leurs képis. Et ce jour-là le ciel était bleu comme une coupole d’église byzantine.
Les soldats examinèrent les doigts du Métropolite.
– Écarte les doigts, ordonna l’interprète.
Le vieillard écarta les doigts. Les soldats les regardèrent attentivement. Le prisonnier n’avait pas de bague.
– Lève les bras, ordonna de nouveau l’interprète. Le vieillard leva les bras. D’abord devant sa poitrine, comme pour un geste de bénédiction, puis au-dessus de la tête. Il ne regardait ni l’interprète, ni les soldats, mais l’interprète et les soldats l’examinaient attentivement pour voir s’il n’avait pas de bijoux cachés sous ses aisselles.
Puis ils contrôlèrent ses cheveux sur la nuque. Le Métropolite avait de longs cheveux blancs. Il aurait pu y cacher des bijoux. Les soldats les écartèrent, mèche après mèche, d’abord du bout de leur bâton, puis avec les mains. Ils contrôlèrent ses cheveux blancs sur le sommet de la tête et sur la nuque. Puis ils palpèrent sa barbe pour voir s’il n’y avait pas caché des bagues.
– Retourne-toi, dit l’interprète. Le vieillard tourna le dos au soldat.
– Penche-toi, dit l’interprète. Il se pencha et courba son dos comme pour prier devant les icônes. Mais cela ne suffisait sans doute pas.
– Écarte les jambes, dit l’interprète.
Le Métropolite écarta les jambes. Elles étaient minces et blanches. L’interprète et le soldat se penchèrent pour voir si le Métropolite n’avait pas de bagues ou d’autres objets en or cachés entre les jambes. L’un des soldats dit quelque chose à son camarade.
Le vieillard continuait à demeurer penché, les jambes écartées et le dos tourné.
– Tu peux partir, dit l’interprète. Les soldats contrôlèrent le suivant. Le Métropolite s’éloigna du même pas hésitant. Le
vent faisait flotter sa barbe et ses cheveux comme un drapeau soyeux et blanc. Traian eut l’impression que le Métropolite n’était pas nu comme les autres.
Traian Koruga le suivit du regard jusqu’à ce qu’il fût entré dans la colonne d’hommes nus. Maintenant il était comme les autres, sans être cependant mélangé à la cohue. Quelque chose flottait tout autour de sa tête. Quelque chose qui forçait le regard. C’était peut-être la blancheur de ses cheveux, ou celle de la barbe. Peut-être encore son port de tête. Quelque chose qui vous forçait à le regarder comme on contemple les icônes.
– Maintenant je sais ce que je vois, dit Traian Koruga en tressaillant.
Les infirmiers se tournèrent vers lui. Mais Traian regardait par la fenêtre et les ignorai.
" La tête du Métropolite est encerclée de lumière, une auréole. Derrière ce front, il y a une lumière intense, plus intense que le néon ou l’électricité, qui répand des rayons autour de la tête. Une lumière dorée. "
Après avoir regagné les rangs de la colonne, le vieillard leva les yeux vers les fenêtres de l’infirmerie. Les rayons qui encerclaient sa tête brillèrent encore plus fort.
" L’auréole n’est pas une invention des peintres d’icônes ", se dit Traian. Il examina les autres prisonniers aussi. Il y avait encore d’autres têtes à auréoles. Il ne les connaissait pas tous. Mais le Recteur de l’Académie de Vienne en avait une. Une jeune journaliste de Berlin l’avait aussi. Un ministre grec, l’ambassadeur de Roumanie à Berlin, avaient eux aussi leurs auréoles. Et d’autres encore. Leurs fronts projetaient des rayons comme un feu très fort ou un réflecteur électrique. Mais ces rayons étaient plus beaux que tous ceux que peuvent produire le feu et la lumière électrique. Les rayons qui surgissaient de leurs fronts auraient pu éclairer tout l’univers. Et jamais plus la nuit ne s’appesantirait sur la terre…
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– Pourquoi ne voulez-vous pas manger ? demanda le lieutenant Jacobson.
Il était entré dans la chambre de Traian. Il avait fait sortir le docteur et le bourgmestre pour
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