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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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rester seul avec Traian.
    – Que désirez-vous ? demanda le lieutenant. Il ne faudrait tout de même pas prendre ce camp pour une foire !
    – Je ne mange plus parce que je n’ai plus faim, dit Traian. Mon appétit a disparu tout d’un coup. J’ai la nausée. Une nausée terrible. J’ai les intestins à l’envers. Et vous, lieutenant, vous n’avez pas la nausée ?
    Jacobson se taisait. Il regrettait d’être resté tout seul avec Traian Koruga. Le prisonnier devait être fou. Ses yeux brillaient. " Il pourrait me sauter au cou et m’étrangler ! " pensa l’officier. Il jeta un regard vers la porte. Puis il sourit.
    – Calmez-vous, monsieur Koruga, dit-il. Vous êtes surexcité et c’est compréhensible. Depuis six jours, vous n’avez rien pris, ni boisson ni nourriture.
    – Ne partez pas, lieutenant, je ne suis pas fou ! dit Traian. N’ayez pas peur. Ma question concernant la nausée a été Stupide. Bien entendu, vous ne pouvez pas avoir la nausée. Si, dès le début, on prend le parti de fermer les yeux et de se boucher le nez, on ne risque plus rien. L’être humain s’habitue à tout, même à la nausée. C’est seulement une question de volonté. Moi je n’ai pas de volonté. Et c’est sans doute pourquoi j’ai été pris de nausée. Il y a des ouvriers qui prennent leur petit déjeuner, leur déjeuner et leur dîner auprès des bouches d’égout ou dans les latrines. Cela ne leur fait plus rien. Ils sont habitués. Je les ai vus de mes propres yeux manger leur saucisson et leur pain beurré à deux pas des trous de cabinet. Ils s’en léchaient les lèvres. Ils étaient très gais et se racontaient des blagues. Même avec un odorat très raffiné on finit par s’habituer. Les Allemands brûlaient les cadavres des prisonniers des camps de concentration et dès qu’ils refermaient la porte du four crématoire ils s’en allaient allègrement déjeuner sans avoir la moindre trace de nausée. Il y a ici des hommes qui ont fabriqué des matelas avec la chevelure des femmes tuées dans les camps de concentration et ces mêmes hommes se sont servis de ces matelas pour y coucher avec leurs maîtresses, et y faire l’amour. C’est sur ces matelas qu’ils ont fait des enfants à leurs femmes, sur ces matelas qui contenaient les cheveux de femmes assassinées et brûlées. Et cela ne les a pas dégoûtés. Cela ne leur a pas soulevé le cœur. Ils ont très bien pris la chose et même ils étaient joyeux. J’ai été dans la même prison qu’une femme qui avait eu dans sa chambre à coucher et dans son boudoir des abat-jour faits en peau humaine. Ils filtraient une lumière jaune et lascive. Et c’est à la lumière des abat-jour en peau humaine que cette femme a fait l’amour, a mangé, a dansé, a bu, s’est abandonnée entre les bras d’un homme qui s’est penché vers elle et l’a embrassée. Elle a été heureuse. Les êtres humains s’habituent à la nausée. Ce n’est qu’une simple question d’habitude et de volonté. Les Russes ont violé des femmes de quatre-vingts ans. Une quantité infinie de femmes de quatre-vingts ans. Ils y sont passés à tour de rôle. Une dizaine pour chaque femme. Même après avoir fait l’amour avec des femmes de quatre-vingts ans, ils n’ont pas eu la nausée. Ils ont bu de la vodka. Vous, vous ne feriez jamais pareille chose. Je le sais. Vous ne violez pas les femmes. Vous leur offrez du chocolat et vous utilisez des préservatifs lorsque vous couchez avec elles. Et vous n’agissez pas comme les Allemands, non plus. Chaque peuple a ses coutumes. Mais vous non plus vous ne craignez pas la nausée, quoi que vous fassiez. Je suis certain que vous ne courez aucun danger, car croyez-moi, la nausée est un très grand mal. Voyez quelles sont mes souffrances. Mes boyaux se retournent comme on retourne un gant. Et je les sens presque dans ma bouche. Ma bile rebrousse chemin. Tout mon estomac est sens dessus dessous à cause de la nausée. Et j’ai pitié des êtres humains. Terriblement pitié. Comment voudriez-vous que je puisse manger dans ces conditions-là ? Comment voudriez-vous que j’aie encore de l’appétit ? Vous rendez-vous compte que je ne saurais plus manger dorénavant ?
    Le lieutenant Jacobson s’était rapproché de la porte. Il regrettait d’être venu. Le bourgmestre et le docteur ne l’avaient pas prévenu que Traian Koruga était fou. Ils lui avaient dit que le malade gardait toute sa lucidité. Mais ce

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