La 25ème Heure
devant les barbelés, par habitude, sans s’en rendre compte. S’il avait dépassé la ligne interdite et s’il avait été tué comme Traian Koruga, cela lui eût été indifférent. Mais il ne voulait pas passer de l’autre côté. Et il ne voulait pas non plus ne pas passer. Il ne voulait et ne désirait absolument rien.
Peu de temps après, deux soldats américains appareils en main s’approchèrent de lui pour le photographier.
Moritz ne bougea pas, et ne les regarda pas. Il très-saillit seulement en voyant s’approcher le troisième soldat. Il l’appela doucement :
– Strul, comment es-tu arrivé ici ?…
Le soldat américain s’arrêta sur place, son appareil à la main et regarda Iohann Moritz.
C’était Strul, l’ex-fourrier du camp de juifs en Roumanie, Strul qui s’était enfui avec lui, Moritz, et le docteur Abramovici à Budapest. Ils se regardèrent et se reconnurent.
Lorsque Moritz l’appela de nouveau par son nom, Strul mit son appareil photographique devant son visage en se cachant les yeux et fit semblant de photographier Moritz.
Puis il s’éloigna bien vite sans répondre.
Iohann Moritz demeura derrière les barbelés et regarda Strul et les deux autres soldats monter dans une jeep et partir.
Lorsque la jeep démarra, Strul jeta encore un regard dans la direction de Iohann Moritz, mais gêné il détourna bien vite les yeux.
Moritz ne se fâcha point. Un autre jour, peut-être eût-il été furieux de voir que Strul, son camarade de misère d’autrefois, faisait semblant de ne pas le reconnaître.
Mais aujourd’hui, tout lui était indifférent.
Iohann Moritz demeura longtemps près des barbelés.
Quelqu’un lui toucha l’épaule. Il ne tourna pas la tête.
– Moritz, prépare-toi à partir.
Iohann Moritz se retourna. Il croyait que son ordre de mise en liberté avait été donné. Ses yeux furent traversés par un éclair de joie.
Ils me relâchent ? demanda-t-il au chef de tente qui lui avait touché l’épaule.
– Hélas, non, mon vieux Moritz !
– Un autre camp alors ?
– Nuremberg !
Iohann Moritz hocha la tête avec indifférence. Il savait depuis longtemps qu’il avait été déclaré automatiquement criminel de guerre en même temps que tous les S. S. Il était donc naturel qu’il aille à Nuremberg, où se trouvaient aussi les autres criminels de guerre, le maréchal Gœring, Rudolf Hess, Rosenberg, von Papen… Il était possible qu’on le condamne à mort. Il était possible qu’on le pende. Maintenant tout lui était égal.
Et c’est pourquoi il continuait à regarder au loin à travers les barbelés.
Le chef de tente lui tapa sur l’épaule et lui dit :
– Dans une demi-heure vous partez.
Moritz ne bougea pas.
– Va faire tes bagages ! dit le chef de tente. Tu as tout juste le temps. Rassemblement à treize heures.
– Je n’ai pas de bagages, dit Moritz.
– Tu n’as rien à prendre ?
– Rien.
– Même pas ta couverture ?
– Même pas.
Le chef de tente pensa un moment que si Iohann Moritz ne prenait pas sa couverture cela lui donnerait la possibilité à lui d’en avoir deux, et donc de mieux dormir. Mais il chassa cette pensée et dit :
– Tu dois prendre ta couverture. La prison du Tribunal international de Nuremberg est froide et humide. Tu auras besoin de ta couverture.
– Je n’ai plus besoin de rien.
– Ne te mets pas en retard, dit le chef de tente avant de s’éloigner. Le départ est fixé pour treize heures
Moritz resta sur place. Il demeurait avec le bout de son soulier sur la ligne blanche, qui indiquait le point jusqu’où les prisonniers avaient la permission d’aller. Le bout du pied droit de Moritz s’avança et la recouvrit à moitié. Moritz regarda le Polonais dans la tour de garde. La sentinelle avait mis l’arme en joue et se tenait prête à tirer. Mais Iohann Moritz ne passa pas la ligne blanche. Il resta là, sur place, la touchant seulement du bout de ses souliers.
Une demi-heure après, il partait pour Nuremberg avec les autres criminels de guerre du camp.
La lettre de Suzanna était restée, elle aussi, sous la tente avec toutes les affaires de Iohann. Ses camarades voulurent la lire mais durent y renoncer, car elle était écrite en roumain et ils n’y comprenaient rien.
Le papier de la lettre était très mince. Les prisonniers la déchirèrent en morceaux et en firent du papier à cigarettes qu’ils se partagèrent entre eux.
Puis ils se
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