La 25ème Heure
majestueuse d’un feu qui s’éteint.
Dans la cour du camp, Iohann Moritz qui aurait voulu crier, porta la main à sa bouche et se retint. Il ne fallait pas crier. Il baissa les yeux et fit un signe de croix.
165
Quatre jours après la mort de Traian Koruga, Iohann Moritz reçut une lettre de Suzanna. Lettre de Suzanna à Iohann Moritz :
" Cher Iani,
" Peut-être croyais-tu que j’étais morte. Il y a neuf mis que nous n’avons plus de nouvelles l’un de l’autre. Bien des fois je me suis dit que tu devais être mort. J’ai voulu faire dire des prières à l’église pour toi, comme pour les morts.
" Mais toujours, au dernier moment, j’évitais de le faire.
" Mon cœur me disait que tu n’étais pas mort. Maintenant je suis contente de n’avoir pas fait dire de messes pour toi, car cela porte malheur de faire dire des messes pour des gens qui ne sont pas morts.
" M. Perusset, de la Croix-Rouge suisse, m’a donné ton adresse. Il m’a dit que tu étais enfermé depuis quelques années.
" Après avoir remercié le Bon Dieu de t’avoir gardé en vie, je lui ai adressé des prières pour qu’il veuille bien ouvrir les yeux de ceux qui te gardent en prison bien que tu n’aies rien fait, car je sais, moi, que tu n’es ni voleur, ni criminel et qu’ils t’ont enfermé sans raison.
" J’ai beaucoup de choses à te dire. Pendant ces neuf ans beaucoup de choses se sont passées. Mais il n’y a pas assez de place dans une lettre pour tout te raconter.
" Tu seras fâché en apprenant que je me trouve à présent en Allemagne, que j’ai quitté la maison, la terre et tout ce que nous avions là-bas et que j’élève les enfants parmi des étrangers. Et c’est pourquoi je te raconterai comment tout s’est passé.
" Toi, tu es parti le deuxième jour de la Pentecôte.
" Les gens du village m’ont dit avoir vu les gendarmes t’emmener, fusil au dos. Moi je ne les ai pas crus parce que je savais que tu n’étais coupable de rien et qu’il n’y avait aucune raison pour qu’ils t’enferment et qu’ils t’emmènent comme un criminel avec la baïonnette dans les reins.
" Quatre semaines après ton départ, j’ai fait un pain chaud et je t’ai attendu. Je savais que tu allais rentrer affamé et assoiffé. Lorsque le pain est devenu rassis, je l’ai donné aux enfants et j’en ai fait un autre pour que tu aies du pain frais à ton retour, car je ne sais pourquoi, mon cœur me disait que tu devais rentrer. J’attendais chaque jour. Je croyais que tu allais venir le soir et je laissais la porte ouverte pour que tu n’aies pas à attendre que je vienne t’ouvrir. Je savais bien que tu allais rentrer fatigué, que tu aurais mal aux pieds et c’est pourquoi je ne voulais pas te faire attendre devant la porte. Mais toi, mon cher Iani, tu n’es pas rentré. Moi je n’ai plus fait de pain pour toi, car je n’avais plus de farine, mais j’ai continué à t’attendre chaque jour.
" Un beau jour, vers la Pentecôte, le gendarme est venu me dire que tu étais juif et qu’il devait prendre la maison. Et pour que je puisse continuer à y demeurer avec les enfants, il m’a donné un papier à signer. Un papier de divorce. J’ai signé. Mais je n’ai pas divorcé et je t’ai attendu comme avant.
" Lorsque les Russes sont venus, ils ont fusillé le prêtre Koruga et les meilleurs de ceux du village. Moi et ta mère, Aristitza, nous avons pris, la nuit même, le prêtre qui n’était pas encore mort, de la fosse de la mairie et nous avons voulu le cacher dans la forêt. En route, nous avons rencontré une colonne allemande et nous leur avons donné le prêtre pour qu’ils l’emmènent à l’hôpital. Je ne sais pas si nous avons bien fait. Mais nous ne pouvions pas le laisser mourir. Aristitza a été fusillée le lendemain par Marcou Goldenberg pour avoir fait cela. Il voulait me fusiller aussi. Mais moi j’ai pris les enfants et je me suis enfuie du village. J’ai travaillé et j’ai souffert, dans bien des endroits. J’avais peur que les Russes m’attrapent et me fusillent, moi aussi, comme ils l’ont fuit pour ta mère. Je me suis enfuie le plus loin que j’ai pu. Mais les Russes ont fini par m’attraper en Allemagne, après la fin de la guerre. Ils ne m’ont pas fusillée. Ils ont été très bons pour moi. Ils ont donné à tes enfants du pain, des bonbons et des vêtements, parce que ce n’étaient pas des enfants d’Allemands. Ils m’ont
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