La 25ème Heure
lors il envoyait tous les trois mois un certificat médical affirmant que le juif Goldenberg était malade et ne pouvait être envoyé au travail, moyennant quoi il recevait du juif 3 000 lei par mois, ce qui doublait sa solde. Maintenant, il pouvait vivre gentiment. Il avait en outre l’impression d’accomplir une bonne action. Le vieux Goldenberg était demeuré chez lui et continuait son commerce au lieu de peiner dans un camp.
Après avoir bu un verre d’eau-de-vie, le gendarme écarta les rideaux et jeta à travers la vitre un regard dans la chambre du juif ; il voulait voir Rosa, la fille de l’aubergiste et lui souhaiter le bonjour comme d’habitude. Rosa avait la peau blanche et douce. Quand il lui pinçait le bras, le gendarme avait l’impression de toucher du velours. La peau de Rosa n’était pas comme celle des paysannes. D’habitude elle restait auprès de la fenêtre, lisant des romans. Mais aujourd’hui, à côté d’elle, il y avait un jeune homme qui lui parlait.
– Quel est cet homme ? demanda le gendarme d’une voix dure.
Le vieux Goldenberg hésita. Il ne savait s’il lui fallait dire la vérité. Puis il se décida.
– C’est Marcou, mon fils. Il vient de rentrer de Paris.
– Présente-le-moi ! dit le gendarme.
Il n’avait jamais connu de jeune homme qui rentrât de Paris. On pouvait toujours apprendre quelque chose de gens qui avaient été à Paris. Mais Marcou Goldenberg était un homme bourru. Il fallait lui tirer chaque mot de la bouche. Le gendarme avait cru que les jeunes gens qui avaient étudié à Paris étaient autrement. Et il était déçu. Celui-là était bourru de nature. Il n’avait même pas voulu boire le verre d’eau-de-vie que lui avait offert le gendarme. Un jeune homme très antipathique. Pourtant avant de partir, le gendarme dit à Marcou :
– Viens ce soir au poste. On fera une partie de cartes !
En sortant de l’auberge il se dit que le vieux Goldenberg avait jeté de l’argent par les fenêtres en envoyant son fils à Paris.
21
En passant devant la maison de Iohann Moritz le gendarme s’arrêta. Dans la cour Suzanna pétrissait de la glaise pour faire des briques. Depuis deux ans Iohann Moritz avait construit la maison. Ils avaient travaillé, lui et sa femme, nuit et jour. La maison était très belle. Elle avait un balcon.
– Pourquoi fais-tu encore des briques ? La maison est achevée.
Il aurait voulu pénétrer dans la cour mais la porte était fermée à clé.
– Nous bâtissons une étable pour les vaches, répondit la femme.
Elle continua à pétrir la glaise avec ses pieds. Le gendarme voyait ses cuisses nues et blanches.
– Ton homme n’est pas là ? demanda-t-il.
– Iani est au moulin, répondit-elle en riant.
Au fond de la cour les deux petits de Iohann Moritz se grillaient au soleil. Le premier dans son berceau, le second jouant dans la poussière. Suzanna les regardait de temps à autre puis elle faisait couler de l’eau sur l’argile et continuait à la pétrir. Elle portait une robe étroite qui faisait ressortir la rondeur de ses hanches. Le gendarme essaya d’ouvrir encore une fois la porte.
– Tu ne veux pas m’ouvrir ? demanda-t-il.
– Tu es très bien là où tu es.
– Je ne te trouve jamais toute seule. Et maintenant que ton mari n’est pas là, tu ne veux même pas m’ouvrir la porte !
– C’est ce qu’il faut ! dit-elle. Et ça fait-même trop longtemps que tu es devant la porte. Va ton chemin et laisse-moi tranquille !
– Ouvre un peu ! Ne sois pas méchante !
– Iani doit rentrer. Et si jamais il te trouve ici, il te fendra la tête à coups de cognée.
– Tu le regretterais ? demanda le gendarme.
– Tu n’as rien de plus intelligent à me demander ?
fit Suzanna. Tu ferais mieux de te taire et de continuer ton chemin. Iani doit arriver d’un moment à l’autre.
– Je te demande encore une seule chose et puis je m’en vais !
– Demande toujours ! Suzanna s’arrêta de pétrir et posa ses mains sur ses hanches.
– Si tu n’attendais pas ton mari, m’ouvrirais-tu la porte ?
– Tu veux trop en savoir ! dit Suzanna. Elle recommença à pétrir la glaise. Elle n’avait jamais pensé jusqu’alors à ce qu’elle ferait si Moritz partait un jour, au loin, et si le gendarme venait la voir.
– Maintenant tu es une femme mariée, dit-il. Qu’est-ce qui te fait peur ?
– Laisse-moi tranquille et
Weitere Kostenlose Bücher