La 25ème Heure
deux.
23
Tout l’après-midi Moritz chercha querelle à Suzanna. Elle ne s’en fâcha pas ; elle voyait bien qu’il était furieux à cause de l’ordre reçu.
Vers le soir Moritz prit le papier, l’enveloppa d’une feuille de journal pour ne pas le salir et le mit dans sa poche.
– Je vais montrer l’ordre au prêtre, dit-il et il sortit de la cour.
Dans la cour du prêtre il n’y avait que sa femme. Le prêtre Alexandru Koruga était à la ville pour la journée.
Moritz fut sur le point de tout raconter à la femme du prêtre. Mais il y renonça. Il lui baisa la main et sortit.
Dans la rue des chiens aboyaient. La nuit tombait doucement. Moritz buta contre une pierre et jura, il pressa le pas et rentra chez lui.
24
Ce fut une nuit tourmentée. Aussitôt couché, Ioha Moritz se sentit envahi par des pensées sombres. Suzan se rapprocha de lui et lui mit les bras autour du cou. Elle voulait lui faire oublier sa peine. Mais il défît ses bras, l’écarta et lui tourna le dos. Il n’était pas plus avancé pour cela. Mille choses lui passaient par la tête. Il y a tant de travail dans une maison. Même en s’y attelant nuit et jour on n’en venait pas à bout. Mais quand on part à l’improviste sans savoir combien l’absence durera et qu’on est obligé de tout abandonner, on se sent pris de peur. Moritz était désespéré. C’était comme s’il allait mourir. Il y a toujours tellement d’affaires à régler avant un départ. Iohann Moritz était tourmenté par toutes ces pensées. Il venait d’acheter dix stères de bois. Il les avait payés, les avait coupés, puis en avait fait des petits tas qu’il avait laissés dans la forêt. Il ne lui restait plus qu’à les transporter à la maison. Et voilà qu’il devait tout quitter. C’était du bois de chêne qui avait coûté cher. Le bois qu’il faut pour construire. Il attendait avec impatience de le voir s’entasser dans la cour. Il avait même pensé à l’endroit précis où il allait le mettre, près de la haie, car les troncs étaient gros. Et maintenant il devait partir. Iohann Moritz se retourna vers Suzanna. Il ne pouvait laisser le bois dans la forêt. Suzanna n’était même pas au courant, et ne savait pas où se trouvait le bois. Il était difficile de le trouver. Suzanna dormait. Moritz lui toucha l’épaule.
" Je dois lui dire que le bois se trouve derrière le canton, à quelques centaines de mètres du ruisseau. Mais là-bas il y a aussi du bois qui appartient à d’autres. Si je ne lui explique pas clairement, elle ne le trouvera pas ", se dit Moritz.
Suzanna sentit la main de Moritz se poser sur son épaule et elle sourit dans son sommeil. La lune était pleine et la chambre était éclairée comme en plein jour, Iohann Moritz savait bien que Suzanna ne pourrait jamais transporter le bois toute seule. Ce n’était pas là travail de femme.
" Le vieux Artemie l’accompagnera et trouvera bien le bois. Mais elle doit savoir que j’en ai acheté. Et y aller voir. Je dois le lui dire. "
Moritz serra davantage l’épaule de sa femme. Elle sourit de nouveau. Il voyait son visage éclairé par la lune. Elle souriait et passait sa langue sur les lèvres. Moritz eut pitié et n’osa la réveiller. La femme dormait profondément comme un enfant. Il allait se réveiller le lendemain de bonne heure et lui dire où se trouvait le bois. Il retira son bras et resta étendu sur le dos. D’habitude il s’endormait facilement, étendu ainsi. Mais ce soir il ne pouvait trouver le repos. Il se rappela l’ordre reçu. En pensant au bois, il l’avait oublié. Tout d’un coup il devint furieux. Iohann Moritz avait fait son service militaire comme garde frontière. C’est là qu’il avait appris le serbe. Il connaissait les règlements militaires et ils n’avaient pu changer du jour au lendemain. Les hommes ne pouvaient être réquisitionnés comme des charrettes, des bœufs, des charrues ou des camions.
Iohann Moritz se frotta les tempes et décida de ne plus y penser puisqu’il saurait le lendemain ce qui était arrivé. Peut-être bien que les fourriers s’étaient trompés et tout son tourment était inutile. Peut-être aussi qu’un des fourriers du bureau de la compagnie avait voulu lui faire une sale blague et lui avait envoyé un ordre de réquisition à la place d’un ordre de mobilisation.
À peine s’était-il un peu calmé, espérant pouvoir enfin
Weitere Kostenlose Bücher