La 25ème Heure
qui dort. Le procureur vit la robe bleue mouillée qui moulait ses hanches. Traian entra au salon. Le procureur le suivit.
– Tu es trempé ! dit-il.
Traian rougit et jeta un regard sur ses souliers pleins de boue. Puis sur ses vêtements d’où l’eau gouttait sur le parquet. Il s’était mouillé inutilement. Moritz avait relevé tout seul la jeune fille et l’avait déposée dans l’auto. Il n’avait pas eu besoin de l’aider et pourtant il était resté tout le temps à côté de lui, sous la pluie. Analysant son geste, Traian se dit qu’à l’avenir, dans une situation pareille il agirait de même, " c’était la nécessité de partager la douleur de l’homme qui se trouvait à mon côté, même si mon aide n’avait aucune valeur pratique, même si elle était gratuite ".
Le prêtre entra dans la chambre. Lui aussi était trempé et l’eau coulait de son front, de ses joues, de sa barbe. Il avait accompagné Iohann Moritz sous la pluie. Comme son fils. Sans qu’il en fût besoin.
" Dieu aussi fit de tels gestes inutiles lorsqu’il créa l’univers ", pensa Traian. " Dieu créa des choses sans utilité pratique. Mais ce sont les plus belles. La vie de l’homme est une création inutile. Tout aussi inutile et absurde que mon geste ou celui de mon père. Mais cette ferveur est magnifique. Malgré son inutilité, elle est inégalable. "
– Il ne faut pas que tu prennes froid, Traian ! dit le prêtre.
– Je ne prendrai pas froid ! répliqua Traian. Comment va la malade ?
– Elle a de la fièvre, dit le prêtre. Ta mère lui a préparé un thé et la soigne. Tu seras récompensé, Traian, de l’avoir emmenée en voiture. Les pauvres gens avaient besoin d’aide.
Le coucou de la pendule sonna minuit.
18
Iohann Moritz frappa à la porte. Il ne pouvait attendre jusqu’au lendemain pour dire merci au prêtre et à Traian. De tous les malheurs qui s’étaient abattus sur lui ces dernières vingt-quatre heures, il ne se rappelait que le geste de bonté du prêtre Koruga et lui en était reconnaissant. Il était content que Suzanna soit à l’abri. Cela aurait pu être pire. Traian Koruga fixait Moritz, les yeux grands ouverts. Il l’interrompit brusquement et dit :
– Père, lorsque je reviendrai encore à Fântâna je logerai chez toi. Donne à Moritz l’argent que je t’avais confié et qu’il construise une maison à Fântâna. Il en a besoin plus que moi.
Le prêtre prit l’enveloppe et la tendit à Iohann Moritz d’un geste simple comme tous les grands gestes. Il ne lui donna aucun conseil, mais il lui tendit simplement l’enveloppe. Iohann Moritz l’ouvrit. Il n’était pas sûr d’avoir bien compris. Lorsqu’il vit la liasse de billets il écarquilla les yeux qui devinrent grands, très grands comme les yeux des hommes qui voient des miracles. Il aurait voulu dire quelque chose. Mais dans son cœur il n’y avait pas de place pour une seule parole. Il serra l’enveloppe entre les mains. Et il se tut.
– Dis merci à Traian, dit le prêtre après un moment de silence. Et va te coucher. Donne l’argent à Suzanna. Les femmes savent mieux le garder.
– Peut-être bien que Moritz veut boire un verre maintenant qu’il est propriétaire à Fântâna, dit le procureur.
La femme du prêtre entra dans la chambre. Moritz mit le verre sur la table et la fixa longuement. Elle dit que Suzanna allait mieux. Puis elle tira le prêtre dans un coin et lui murmura quelque chose à l’oreille. Le vieux fronça les sourcils. Puis il sourit. Moritz suivait tous ses mouvements.
– Rassure-toi, ce n’est pas une mauvaise nouvelle. Ma femme vient de m’annoncer que tu seras père. Il faut vous marier avant.
Iohann Moritz serra la main de Traian Koruga et celle du procureur puis il sortit… Il pleuvait toujours. Avant de descendre les marches, il fourra l’argent sous sa chemise pour ne pas le mouiller. L’enveloppe était tiède. Et douce au toucher. En la serrant contre lui, Moritz voyait se dresser devant ses yeux la maison, la haie, le puits, le jardin. Tels qu’il les avait toujours rêvés. Lorsqu’il pénétra dans la chambre, Suzanna dormait toujours. Il mit l’argent sous l’oreiller et alla se coucher dans le foin.
Au moment où il passait en sifflant sous les fenêtres de la bibliothèque, le prêtre disait à Traian :
– Il aurait mieux valu que je ne lui parle pas de mariage. La mère de Suzanna est morte. Elle est à
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