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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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du journal Occident, répliqua Nora.
    Léopold Stein connaissait la logique irréprochable de la femme qui se tenait devant lui. Mais aujourd’hui sa réponse relevait du fanatisme, et les fanatiques n’ont pas de logique. Il n’osa pas la contredire. Lorsque l’être humain renonce à la lucidité, il ne doit pas être contredit. Toute tentative de lui montrer la vérité est vouée à l’échec.
    – Aujourd’hui à midi j’ai épousé un chrétien, dit Eleonora West. Le journal sera porté à son nom et ainsi personne ne pourra plus réquisitionner Occident, même si la Roumanie devait se faire plus antisémite que l’Allemagne.
    – Vous vous êtes vraiment mariée ?
    Léopold Stein n’en revenait pas.
    – A partir d’aujourd’hui je m’appelle M me  Eleonora West-Koruga, dit-elle. Mon mari est le romancier Traian Koruga qui sera dans quelques jours le directeur et le propriétaire du journal. Et lui aussi m’appartient.
    Nora West riait, satisfaite. Léopold Stein fouillait dans ses poches, cherchant, il ne savait lui-même trop quoi, pour se donner une contenance, pour ne pas être obligé de parler ou d’affronter le regard d’Eleonora. Il avait besoin de quelques minutes encore pour se remettre et croire à la vérité de toute cette histoire.
    – En d’autres termes, dit-il en toussant dans son mouchoir, vous cédez le journal, vous renoncez à la direction.
    – Non seulement je ne cède pas le journal, mais encore je le réorganise en créant d’autres cadres. J’ai engagé un nouveau directeur.
    – L’idée est géniale ! dit Léopold Stein. L’idée est merveilleuse. Et il a accepté toutes ces conditions ?
    – Je ne comprends pas, répondit Nora sèchement.
    – M. Traian Koruga, votre mari, a accepté cette solution ? Pour un homme cela doit être plutôt désagréable. Cela veut dire qu’il a été acheté par une femme pour un dessein bien défini.
    – Mais je n’ai acheté personne ! dit Nora West nerveusement. Je l’ai épousé par amour.
    Leopold Stein se leva. Il la félicita. Elle ne lui tendit pas la main. Elle feuilletait les actes de naissance de ses parents. Des larmes brillaient dans ses yeux.
    – Les hommes n’ont le droit de recevoir de félicitations qu’au moment de leur mort ! dit-elle. Avec un effort d’objectivité vous le reconnaîtriez vous-même. Mais une fois morts, les hommes ne peuvent plus recevoir de félicitations. C’est dommage. Ils ratent la seule occasion de les mériter vraiment.
    Le vieillard se rassit dans son fauteuil.
    – Je croyais que vous vous étiez mariée par amour ! dit-il.
    – Vous ne me croyez pas amoureuse ? demanda-t-elle. Intelligent comme vous l’êtes, vous n’arrivez pas à comprendre ?
    – Alors pourquoi souffrez-vous à ce point ? demanda-t-il. J’ai l’impression que vous pleurez.
    – J’ai l’impression que vous êtes vraiment très fatigué Monsieur Stein, dit-elle. Je ne sais pas ce que vous avez. Vous ne comprenez absolument rien. On ne dirait pas que vous êtes juif. J’aime Traian Koruga. C’est même le premier homme que j’aie aimé. Je l’aime depuis plusieurs années déjà. Je suis terriblement amoureuse de lui. Mais l’amour, d’après moi, n’est pas un motif de mariage. Je me suis mariée à cause des lois ethniques. Pour sauver le journal. Pour sauver ma vie. Me comprenez-vous maintenant ?
    Leopold Stein n’avait pas l’air d’avoir compris. Il baisa la main d’Eleonora West et se dirigea vers la porte. Elle le rappela.
    – À la fin de la semaine je pars pour la campagne chez mes beaux-parents, dit-elle. Le père de Traian est un prêtre orthodoxe. J’y resterai quelques jours. À mon retour je veux avoir les papiers de donation de tous mes biens meubles et immeubles, le journal y compris, au nom de Traian Koruga. Si vous rencontrez une difficulté quelconque pour la donation, faites un acte de vente. Enfin trouvez vous-même la meilleure solution et la plus valable juridiquement. L’opération doit être effectuée rapidement.
    – Vous êtes très intelligente, dit le vieillard.
    – Je ne suis pas intelligente, répondit-elle. Je suis une femme qui lutte de toutes ses forces, avec tous ses instincts et toute sa lucidité pour défendre son droit à la vie. Au revoir, monsieur Stein.
     
     
     
50
     
     
     
    Après le départ du vieillard Eleonora s’installa à son bureau, la tête entre les mains, et pleura. Elle pleura comme seules les

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