La 25ème Heure
force.
– À quoi penses-tu, Nora ? demanda-t-il.
– À rien, répondit-elle. Nous allons boire du café, veux-tu ?
Et sans plus attendre sa réponse, elle lui tourna le dos, comme elle avait fait lorsqu’il lui avait parlé de sa parenté avec les biches et les algues marines.
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Le mariage civil eut lieu à la mairie. Traian Koruga et Eleonora West étaient en costume de ville. Deux amis de Traian leur ser vaient de témoins. Après le mariage ils déjeunèrent dans un restaurant de Baneasa.
– Pour le mariage religieux nous ferons une grande fête, dit Traian.
Il se mit à lui raconter les coutumes d’une noce roumaine à la campagne.
– La noce sera précédée sur le chemin de l’église par des paysans à cheval ; cinquante jeunes paysans, en costumes nationaux, sur des chevaux tout blancs. Une charrette attelée de quatre bœufs les suivra. Dans la charrette, la coutume veut qu’on expose les cadeaux reçus par la mariée et sa dot. Mais notre charrette à nous sera chargée de fleurs. Nous aurons douze parrains. En plein service religieux au moment où les mariés et les parrains se tiennent par la main et dansent une ronde, du haut de l’église tombe une pluie de bonbons, que les enfants vont chercher jusque dans les jambes des mariés. Nous en ferons tomber par sacs entiers pour que tous les enfants de Fântâna en aient tout leur saoul. Quand j’étais gosse moi aussi je ramassais des bonbons à tous les mariages, mais jamais assez, jamais plus de quatre. Je veux qu’à notre mariage tous les enfants puissent s’en remplir les poches. Nous ferons venir douze orchestres de tziganes avec violons et guitares. Le vin coulera à pleins tonneaux et tout le village sera ivre. Notre noce se fera dans une clairière et nous y inviterons des milliers de gens. Et la noce durera une semaine.
Nora regarda sa montre. Dans un quart d’heure elle avait rendez-vous avec l’avocat Léopold Stein.
– Allons-nous-en, dit-elle. Des affaires urgentes m’attendent au bureau.
Traian arrêta son récit des noces à Fântâna. Ils se levèrent tous les deux et partirent.
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Traian Koruga conduisit Nora jusqu’à la rédaction. Le palais du journal Occident était un immeuble ultra moderne à la façade de marbre blanc. Il avait été construit par Eleonora West sur l’emplacement d’une ancienne imprimerie. Il regarda les six étages qui brillaient à la lumière du soleil. Il sourit. " C’est l’œuvre de Nora pensa-t-il.
– Je t’attends dans la voiture, dit-il.
Il savait bien que Nora avait l’habitude de conduire toute seule l’auto en rentrant du bureau, mais il croyait qu’aujourd’hui elle ferait exception. C’était le jour de leur mariage.
– Je rentrerai toute seule, après avoir liquidé ce que j’ai à faire, dit-elle.
Puis elle attendit de le voir partir, monta les marches de l’escalier de marbre, et disparut dans l’immeuble par la grande porte en fer forgé, que lui avait ouverte toute grande le portier galonné d’or.
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Eleonora West entra dans le bureau d’un pas de royale indifférence. Elle fit semblant de ne pas remarquer la présence du vieillard vêtu de noir qui s’était levé à son arrivée. Elle posa son sac et ses gants sur le bureau, puis invita d’un signe le vieillard à s’asseoir. Elle prit une cigarette et s’efforça de l’allumer en maîtrisant le tremblement de ses doigts. Puis elle s’installa dans le fauteuil et fixa du regard le vieillard.
– Je vous écoute, monsieur Stein, dit-elle.
Le vieux ouvrit la serviette qu’il tenait sur ses genoux et en retira une liasse de papiers qu’il mit au bord de la table. Nora suivit tous ses mouvements avec une attention soutenue.
– L’affaire est arrangée, mademoiselle West, dit-il. Voilà les documents. Et il sortit du dossier deux papiers qu’il lui présenta.
– Ce sont les seuls actes existant dans les archives de Plœsti ? demanda Nora.
– Les seuls existant dans les archives jusqu’à ce matin, répondit le vieillard. Maintenant les documents sont sur votre bureau. Dans les archives il n’y a plus rien.
Eleonora West jeta un regard méprisant sur les papiers. Elle les plia et les mit dans le tiroir.
– Il serait plus prudent de les détruire tout de suite, dit le vieux.
Nora regarda le vieillard, ses lunettes cerclées d’or, son col raide, ses < habits de coupe ancienne.
– Du
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