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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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femmes peuvent le faire. Pas seulement avec les yeux. Avec tout son être. Puis elle décrocha le récepteur et appela Traian.
    – Sois gentil et viens me chercher à la rédaction, dit-elle.
    – Il est arrivé quelque chose ?
    – Il n’est rien arrivé du tout. Mais viens me chercher. Je te jure qu’il n’est rien arrivé. Absolument rien. Mais viens vite.
    Traian Koruga se leva pour partir. Mais en sortant de la bibliothèque il regarda de nouveau la femme de Picasso. La moitié de l’œil riait et l’autre pleurait. C’est pourquoi il avait été coupé en deux, pour qu’elle puisse rire et pleurer avec lui, en même temps et avec une égale intensité.
     
     
     
     
51
     
     
     
    En attendant Traian Koruga, Eleonora West décrocha le récepteur et demanda Leopold Stein. Il habitait à proximité du journal et avait juste eu le temps d’arriver chez lui.
    – Monsieur Stein, dit-elle, dites-moi en toute sincérité : croyez-vous que je me sois mariée par amour ou par intérêt ? Je vous en prie, ne me ménagez pas. Donnez-moi votre opinion sincère.
    – Qu’en pensez-vous, vous-même ? demanda Stein.
    – Je ne le sais pas, répondit-elle. Et même si on me coupait la tête je serais incapable de répondre d’une façon précise. Il y a des moments où j’ai l’impression d ’avoir agi simplement par amour. Quelquefois je me dis l’avoir fait pour les deux à la fois. Mais aucune de ces explications ne me paraît valable. Je ne suis sûre que d ’une seule chose : c’est que je ne pouvais plus attendre et que cela devait être fait. Mais je voudrais en connaître moi aussi la véritable raison.
    – Ni l’une, ni l’autre.
    – Je ne me suis donc pas mariée par intérêt comme une femme…
    – Non, madame West. Vous êtes trop fière pour épouser quelqu’un par intérêt, même si votre fortune et votre journal étaient en péril.
    – Vous en êtes sûr ?
    – Certain !
    – Je me suis donc mariée par amour ?
    – Pour aimer vraiment il faut pouvoir croire en l’avenir. Il faut croire au bonheur et, ce qui est plus absurde, il faut surtout croire que ce bonheur est éternel et qu’il peut nous être offert par l’être aimé. Vous êtes trop lucide pour y croire. Et c’est pourquoi – excusez-moi de vous le dire – mais vous ne vous êtes pas mariée par amour.
    – Alors ? demanda-t-elle.
    – Ni par amour, ni par intérêt, répondit Leopold Stein. Par peur. Ce geste a eu la rapidité étonnante du désespoir.
    – Et l’amour n’y est pour rien ? demanda Eleonora West.
    – Il y est pour quelque chose. Mais votre amour ressemble à celui qu’ont dû ressentir les femmes à l’époque où elles habitaient les forêts menacées, à chaque moment du jour et de la nuit, d’être dévorées par les bêtes sauvages. Alors seulement les femmes s’accrochaient désespérément aux genoux des hommes, réclamant protection, amour, vie, et désirant toutes ces choses avec une intensité et une passion égales. Les femmes ne peuvent ressentir pareil amour qu’en cas de tremblement de terre, de déluge, de grands cataclysmes : toutes les fois que le monde semble prêt à s’effondrer.
    – Pourquoi ne m’avez-vous pas dit tout cela lorsque vous vous trouviez devant moi ?
    – Je ne voulais pas vous faire douter de votre force et de votre puissance. Je voyais bien que vous trembliez de peur, je voyais bien que vous aviez agi par peur. Et j’avais pitié de vous. Lorsque vous étiez gosse je vous ai tenue sur mes genoux, ne l’oubliez pas.
    Traian Koruga entra dans le bureau. Nora accrocha le récepteur et alla à sa rencontre. Elle se serra contre lui. Elle riait. Traian l’embrassa.
    – Je suis content de te voir de bonne humeur, dit-il. Au téléphone j’avais cru t’entendre pleurer.
     
     
     
52
     
     
     
    Le 21 août, la veille de son départ pour Fântâna, Traian se rendit au ministère de la Guerre pour prendre l’ordre de mise en liberté de Moritz. Il était heureux, comme s’il avait déjà le papier en poche.
    Il monta l’escalier en courant. L’aide de camp, qui connaissait les bonnes relations que le ministre entretenait avec Traian Koruga, l’introduisit immédiatement. Traian entra dans le cabinet du général. Il avait sur lui un exemplaire de luxe, illustré, de son premier roman. Il y avait écrit une dédicace aimable. Le général ne vint pas à sa rencontre. Il ne se leva même pas comme il avait fait lors de

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