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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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portière et reprit la route de la ville. Il pensait à la femme du tableau de Picasso.
    " Maintenant je regrette de ne pas l’avoir su plus tôt.
    Si je l’avais su je lui aurais épargné bien des souffrances. Pauvre Nora ! "
    Traian arrêta l’auto devant la première fleuriste et acheta un bouquet de roses blanches à l’intention de Nora. La vendeuse enveloppait les roses en lui souriant.
     
     
     
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    –  Dis-moi ce que tu es en train d’écrire ! dit Nora.
    Traian Koruga avait commencé à travailler à son nouveau roman. Eleonora l’entendait quitter le lit à quatre heures du matin, enfiler sa robe de chambre et sortir de la pièce. Il ne sortait plus de son bureau qu’à l’heure du petit déjeuner qu’ils prenaient ensemble. Depuis leur mariage deux mois s’étaient écoulés. Dans un vase sur la table il y avait des fleurs.
    – Tu ne veux pas me raconter ? demanda Nora.
    Elle était impatiente. Traian avait toujours évité de lui parler de son roman. À chaque fois il éludait. Mais maintenant il ne pouvait plus refuser.
    –  J’ai fait une fois une croisière en sous-marin, dit-il. Je suis resté mille heures sous l’eau. Il y a dans les sous-marins un appareil spécial pour indiquer le moment précis où il faut renouveler l’air. Mais, il y a longtemps, il n’y avait pas d’appareils et les marins prenaient à bord des lapins blancs. Au moment où l’atmosphère devenait toxique, les lapins mouraient et les marins savaient alors qu’ils n’avaient plus que cinq ou six heures à vivre. À cet instant, le capitaine devait prendre la décision suprême : ou bien il faisait un effort désespéré pour remonter à la surface, ou bien il ne quittait pas le fond et mourait avec tout l’équipage. D’habitude, pour ne pas se voir mourir ils s’abattaient entre eux à coups de revolver.
    " Dans le sous-marin sur lequel je me trouvais il n’y avait pas de lapins blancs, mais des appareils. Le capitaine a observé que je percevais toute diminution de la quantité d’oxygène. Il s’est moqué de ma sensibilité, mais pour finir il n’a plus utilisé les appareils. Il n’avait qu’à me regarder. Et je lui indiquais avec une précision, toujours confirmée par les appareils, s’il y avait assez d’air ou non.
    " C’est un don que nous avons – les lapins blancs et moi – de sentir six heures avant le reste des humains le moment où l’atmosphère devient irrespirable. Depuis un certain temps j’éprouve cette même sensation que j’avais à bord du sous-marin : l’atmosphère est devenue suffocante.
    – Quelle atmosphère ? demanda Nora.
    – L’atmosphère dans laquelle vit la société contemporaine. L’être humain ne peut plus la supporter. La bureaucratie, l’armée, le gouvernement, l’organisation d’État, l’administration, tout contribue à suffoquer l’homme. La société actuelle sert les machines et les esclaves ethniques. Elle est créée pour eux. Mais les hommes sont condamnés à l’asphyxie. Ils ne s’en rendent pas compte. Ils persistent à croire que tout est normal, comme par le passé. Les hommes de mon sous-marin résistaient eux aussi dans l’atmosphère infectée. Après la mort des petits lapins, ils vivaient six heures encore. Mais moi je sais que tout est fini.
    – C’est là le sujet de ton roman ?
    – Dans mon roman, je décris la manière dont meurent, dans des tourments affreux, tués par une atmosphère qui ne permet pas l’existence, les hommes de cette terre. Et puisque je n’ai pas pu prendre toute l’humanité en exemple, je n’ai pris que dix êtres que je connais le mieux.
    – Et tous tes personnages meurent ?
    – Après la mort des lapins blancs, les hommes ne peuvent plus vivre que six heures au maximum. Mon roman décrit les six dernières heures de la vie de mes meilleurs amis.
    – Et Qu’est-ce que tu as écrit jusqu’à présent ?
    – Le premier chapitre, dit Traian. L’un des personnages a été arraché de parmi nous et…
    – Qu’est-ce qui lui arrive ?
    – Pour le moment on lui a pris sa liberté, sa femme, ses enfants, sa maison… Il a été affamé, frappé. On a déjà commencé à lui arracher les dents. Plus tard on lui arrachera les yeux et la chair qui colle encore à ses os. Et ses os seront brisés. Les der niers tourments lui seront probablement appliqués d’une manière automatique et électrique.
    – Tout cela s’est-il passé vraiment ?

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