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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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participait à la vie politique, culturelle et mondaine. Traian la connaissait depuis quelques années déjà. Leur amour était aussi grand qu’au début. Peut-être était-il devenu encore plus profond. Mais ils ne s’étaient pas mariés. Chaque fois que Traian le lui demandait, Eleonora West répondait :
    " Je ne serais jamais une bonne épouse. J’aime trop mon métier pour y renoncer sans avoir l’impression d’avoir gâché quelque chose de très précieux dans ma vie, d’avoir tout raté. "
    –  Je crois que Iohann Moritz sera relâché ! dit Traian. Le ministre de la Guerre m’a promis de le faire d’ici le 29 août. J’ai télégraphié à mon père que j’arrivais à Fântâna avec ma fiancée et avec l’ordre de mise en liberté de Iohann Moritz. Il sera doublement heureux.
    – Tu tiens à tout prix à me présenter à tes parents comme ta fiancée ? demanda Nora.
    – Oui. J’y tiens énormément, dit-il. Mais si tu le veux, je peux y renoncer. Mon père en sera chagriné, mais il sait tellement bien pardonner.
    – Pourquoi lui présenter ta fiancée et non pas ta femme ? demanda Nora. Si nous nous marions après-demain matin, en arrivant à Fântâna nous serons déjà mari et femme.
    Traian Koruga crut qu’elle plaisantait. Cela faisait deux ans qu’il essayait en vain de la convaincre. Elle l’aimait, mais elle ne voulait pas être sa femme. Elle ne voulait être la femme de personne. Et maintenant tout à coup, elle lui proposait de l’épouser.
    – C’est sérieux ?
    Il se leva et baisa sa main.
    – Qu’est-ce qui s’est passé ? Ce matin au téléphone tu ne m’as rien dit. Comment t’es-tu décidée ?
    – Il ne s’est rien passé du tout ! répondit-elle. Le 29 août en allant à Fântâna nous serons mariés. Tu me l’as demandé à maintes reprises. Aurais-tu changé d’avis entre-temps ? Tu aurais dû me le dire.
    Traian Koruga se rendait très bien compte qu’un événement important avait dû se passer. Un événement qui avait poussé Nora à devenir sa femme. Mais quel était cet événement ? Il ne pouvait le deviner.
    – Pour le moment, marions-nous civilement, dit-elle. Le mariage religieux sera célébré plus tard à Fântâna. Tu rêvais toujours d’un mariage à l’église de ton père. Tu me voyais en robe blanche, entourée de jeunes paysannes, avançant vers l’autel… J’obtiendrai la dispense pour le mariage civil. Je téléphonerai moi-même au procureur général.
    – Nora, dis-moi, que se passe-t-il ? demanda Traian. Quelque chose de grave a dû t’arriver.
    – Il n’est rien arrivé du tout ! dit-elle. Absolument rien. Ou plutôt il y a que je me suis décidée à devenir ta femme. J’ai pris spontanément cette décision et je veux la réaliser au plus vite pour que rien n’intervienne et ne se mette au travers. Le bonheur que je m’offre est tellement essentiel pour moi, que je voudrais le toucher tout de suite, le tenir entre mes mains bien serrées. J’ai peur de le perdre en attendant trop. C’est tout. Ne me crois-tu pas ?
     
     
     
46
     
     
     
    Après le déjeuner Traian Koruga et Eleonora West demeurèrent dans la bibliothèque et regardèrent les livres et les tableaux.
    Traian était convaincu que Eleonora lui avait dit la vérité. Mais ils ne parlèrent plus du mariage. Ils éprouvaient tous les deux le besoin d’échapper aux pensées qui les obsédaient. Ils s’arrêtèrent devant un tableau de Picasso.
    Eleonora West regardait le tableau qui représentait une femme à tel point défigurée par la souffrance que son visage ne gardait plus rien d’humain. C’était une vision de chair déchiquetée, un portrait de l’homme que la douleur avait démonté comme une machine. Il n’en restait que les éléments essentiels : les yeux, le nez, la bouche, les oreilles. Chacun de ceux-ci vivait isolément, une vie individuelle. À cause de la souffrance ils s’étaient repoussés l’un l’autre. Le corps humain avait renoncé à son unité.
    Traian Koruga se tourna vers Nora et un instant il eut l’impression qu’elle ressemblait à ce portrait. Aucun appareil photographique n’aurait pu fixer son expression à ce moment. La douleur était trop profonde. Le visage d’Eleonora West était aussi ravagé que le visage de la femme de Picasso. Il était comme traversé par ces courants de haute fréquence qui ne peuvent vous électrocuter, justement à cause de leur trop grande

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