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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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c’eût été très grave !
    – Oui, du point de vue hongrois c’eût été plus grave ! dit le comte. Mais du point de vue humain, c’est la même chose. Nous venons de vendre aux Allemands des êtres humains.
    – Mais ce sont les nécessités de l’heure qui nous y obligent. Nous ne pouvons pas les éviter.
    – L’Europe a abandonné le trafic d’esclaves depuis quelques centaines d’années. Les derniers êtres qu’on ait vendus ont été les nègres en Amérique. Maintenant le trafic d’esclaves est défendu sur toute la surface du globe. L’abolition de l’esclavage est une des plus importantes réalisations de notre civilisation. Et maintenant nous revenons sur nos pas, nous remontons le cours du temps et nous reprenons le trafic d’esclaves. Du vingtième siècle, nous sommes revenus brusquement à l’époque préchrétienne, sautant à pieds joints par-dessus la Renaissance et le Moyen Age.
    – Mais, père, les choses ne doivent pas être vues sous un angle aussi tragique, dit Lucian. Somme toute, ces ouvriers qui vont en Allemagne ne sont pas enchaînés. Ils vont là-bas comme travailleurs.
    – Ils ne seront pas enchaînés parce qu’ils sont dans l’impossibilité de s’enfuir. La Société contemporaine a ses méthodes pour garder les esclaves, méthodes que ne possédaient pas les Grecs. Je ne pense pas seulement aux mitrailleuses, aux barrières de fil de fer barbelé que traverse un courant électrique, mais à toutes les méthodes de la technique bureaucratique qui doit surveiller l’être humain : les cartes d’alimentation, l’autorisation de la police pour pouvoir avoir un lit à l’hôtel, monter dans un train, se promener dans la rue ou changer de résidence. Les Grecs et les Égyptiens n’auraient jamais enchaîné leurs esclaves s’ils avaient possédé les moyens de contrôle de notre Société moderne. Mais l’esclavage demeure le même.
    – Il vaut mieux ne pas penser à tout cela, dit Lucian. Nous ne pouvons rien changer. Nous n’avons pas le choix. Nous ne sommes pas le seul pays qui ait vendu des esclaves à l’Allemagne. La Croatie, la Roumanie, la France, l’Italie, la Norvège et presque tous les pays de l’Europe l’ont fait. Que pouvons-nous faire d’autre que nous retirer du gouvernement et lutter contre l’Allemagne parce qu’elle achète des esclaves et que les autres pays les lui vendent. Un autre gouvernement viendrait alors au pouvoir, gouvernement qui enverrait quand même des ouvriers en Allemagne. Et même si nous parvenions à détruire le Reich allemand le problème ne serait pas encore résolu. Les Russes remplaceraient les Allemands et les Russes sont les plus grands trafiquants d’esclaves du monde. En Russie soviétique chaque homme est la propriété de l’État…
    – Et cet état de choses ne t’épouvante pas ?
    – Non.
    – C’est cela qui est plus grave, dit le comte. Car cela veut dire que tu n’as plus aucun respect de l’être humain. Et, toi aussi, tu es un être humain. Tu n’as donc plus aucun respect : pour toi-même.
    –  Je respecte chaque homme selon sa valeur, dit Lucian. Je ne crois pas que tu aies quelque chose à me reprocher dans ce domaine.
    – Tu respectes l’homme comme tu respecterais ton automobile, parce qu’il représente une certaine valeur.
    – Et qu’y a-t-il à redire ?
    – Mais respectes-tu l’homme pour sa valeur intrinsèque, sa valeur humaine ?
    – Bien sûr. Je ne pourrai jamais faire souffrir quelqu’un sans en avoir pitié et en éprouver du remords.
    – Mais, même à un chien tu ne ferais jamais de mal sans en avoir pitié parce que tu sais que lorsque tu lui donnes des coups de cravache il en souffre. Tu as pitié de l’homme comme tu aurais pitié de n’importe quel être vivant. Je voudrais savoir si tu respectes l’être humain en tant qu’être humain, en tant que va leur unique, irremplaçable, même lorsqu’il n’a aucune valeur sociale ou ne t’inspire pas la pitié ou la tendresse comme un animal ?
    – Je ne me suis jamais posé cette question, dit Lucian. Je sais que je respecte l’homme par rapport à sa valeur sociale et en tant qu’animal vivant. Tout le monde, d’ailleurs, pense et sent comme moi…
    – Es-tu sûr, Lucian, que le monde aujourd’hui pense et sent comme toi ? demanda le comte.
    – Absolument sûr, dit Lucian. Le plus strict raisonnement logique nous l’impose. L’homme est une valeur sociale. Pour le

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