La 25ème Heure
sur son dos. Chaque jour lorsque le gardien s’asseyait ainsi sur lui, Moritz croyait qu’il allait périr étouffé. Mais aujourd’hui il aurait vraiment voulu mourir. Il sentit le creux de sa poitrine s’écraser contre le banc. Ses poumons pressés par le poids du gardien comme par des meules de moulin, ne pouvaient plus aspirer l’air.
– Tu dis ? demanda le gardien qui l’avait frappé au visage. L’autre ne répondit pas. Moritz sentit le premier coup l’atteindre à la plante des pieds. Il serra convulsivement les jambes. Le gar dien, assis sur lui, les saisit à pleines mains et les cloua au banc. Le deuxième coup suivit. C’était probablement une grosse baguette. La plante des pieds ne lui faisait plus mal. Seul son cerveau en souffrait. Lorsque les coups se mirent à pleuvoir, il ne les ressentit plus dans le cerveau, mais dans la poitrine. Ensuite dans les épaules. Puis il ne sentit plus rien. Son corps était raidi. Mais cela ne dura pas. Maintenant il avait l’impression de recevoir des coups de couteau dans la plante des pieds, tellement elles le brûlaient. Ce devait être les baguettes fines. Les coups se répercutaient à travers ses genoux et l’atteignaient aux reins. Il perdit le contrôle de sa vessie et de son ventre. Les coups continuaient à pleuvoir. Iohann Moritz eut la nausée. Une lumière jaune dansait devant ses yeux. Les aliments qu’il avait ingurgités commencèrent à sortir par la bouche. Le pantalon mouillé s’était collé à la peau. L’eau et le pain qu’il avait avalés refusaient de lui rester dans l’estomac.
Iohann Moritz se voyait englouti par cette lumière jaune qui l’entourait. Sa bouche était remplie d’un suc amer et verdâtre. Les liquides sortaient de son corps par le nez, par la bouche, par tous les orifices. Ils étaient mélangés à une mousse verte comme de la bave de crapaud. Iohann Moritz sentait sa vie s’échapper de partout. Seul son esprit demeurait encore éveillé. Le gardien le frappait avec des baguettes de plus en plus fines, mais Moritz ne ressentait plus rien. Le sang, qui, lui non plus, ne pouvait supporter les coups, essayait de s’évader de cette enveloppe de chair torturée, déchirée. Il éclata par toutes les portes qu’il trouvait ouvertes. Le sang fuyait le corps de Iohann Moritz par le nez, les oreilles, et se mêlait à l’urine. Le sang le quittait même par les pores. Il ne voulait plus de ce corps déchiqueté par la souffrance. Il devait s’évader. À n’importe quel prix. De partout.
65
En se réveillant, Iohann Moritz se souvint de la confrontation de la veille avec Isaac et Rosa Nagy. " S’ils avaient dit la vérité, l’inspecteur m’aurait relâché, et hier je n’aurais pas été torturé. " Jamais encore il n’avait été battu comme la veille. Tout son corps n’était qu’une plaie. Des pieds à la tête une grande plaie qui saignait.
" Isaac Nagy leur a dit qu’il ne me connaissait pas. Et sa femme aussi. " Moritz se revit cirant chaque matin les souliers de Isaac Nagy, coupant – sur l’ordre de Rosa Nagy – le bois, lavant le plancher de la cuisine. " Comment ont-ils pu dire ça ? Ils ont même prétendu n’avoir jamais vu Iulisca et n’avoir jamais eu de domestique du nom de Iulisca. "
Iohann Moritz était à bout de forces. Il savait bien que son corps et son esprit étaient faibles et qu’hier et avant-hier il avait été ramené dans la cellule sans se rappeler comment et à quel moment on l’avait ramené. Ce devait être à cause des coups. Mais il était sûr d’avoir habité chez Isaac Nagy. Il était sûr que leur domestique s’appelait Iulisca. Et pourtant Isaac Nagy avait dit NON. Sa femme avait dit NON. Il les avait entendus de ses propres oreilles dire NON.
Iohann Moritz ferma les yeux.
66
Peu de temps après, on vint de nouveau le chercher. Moritz se mit à trembler. Pour la première fois, il était décidé à se tuer. Il ne pouvait plus supporter tant de souffrance. Le gardien laissa la porte ouverte et demeura sur le seuil. À travers les cils, Moritz l’aperçut qui riait.
– Allons, lève-toi, dit le gardien.
Moritz revit en pensée l’inspecteur Varga. Il entendit sa voix. Puis il revit la chambre de torture, les baguettes de toutes tailles, il sentit tout le poids du gardien peser sur son dos. Ses lèvres se firent suppliantes et murmurèrent :
– Non… Pas aujourd’hui. Demain. Et
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