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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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la première phrase :
    – Lis encore une fois, gendarme, dit-elle. Peut-être n’ai-je pas très bien compris. Tu as dit : " Le juif Moritz Ion ", n’est-ce pas ? Si tu as bien lu, alors il ne s’agit pas de mon garçon ! Moi, je n’ai pas de garçon juif !
    Le chef lui tendit l’affiche. Aristitza s’attendrit de nouveau, en voyant à quel point son fils avait maigri.
    – C’est bien lui, n’est-ce pas ? demanda le gendarme.
    – C’est bien lui, le pauvre ! répondit Aristitza. Puisse Dieu ne jamais pardonner leurs péchés à ceux qui l’ont enfermé !’
    –  Tu le reconnais ? dit le gendarme. Alors pourquoi soutiens-tu encore qu’il n’est pas juif ? Ne perdons pas notre temps. Tu ferais mieux d’écouter ce que je te lis. Tout ce que tu peux déclarer n’a aucune valeur. Tu es une personne particulière. Moi je crois seulement ce que disent les officiels. Ce papier est un acte émanant de l’autorité. Donc il est sacré. Et il affirme que ton fils est juif.
    – Si tu oses dire encore une fois que mon fils est juif, je te crève les yeux ! dit Aristitza. Tu veux me mettre en colère ? Pauvre gosse ! À son départ il était beau et fier comme un sapin et maintenant il ne lui reste que la peau et les os !
    – N’insulte pas l’autorité ! dit le gendarme. Sinon je te dresse un procès-verbal d’outrage à un agent de la force publique !
    – Ion, je l’ai fait avec mon mari, pas avec l’Autorité ! dit Aristitza. C’est moi qui l’ai porté dans mon ventre, et lui ai donné mon lait, ce n’est pas l’Autorité. Et moi je sais qu’il n’est pas juif !
    – Le ministère de l’Intérieur affirme textuellement dans cette circulaire, que Moritz Ion est juif.
    – Que le ministère de l’Intérieur vienne me le dire ici, s ’il en a le courage ! Je lui cracherai en plein dans la figure, s’il prétend connaître mieux que moi ce que j’ai porté dans mon ventre !
    – Si tu es Roumaine, peut-être que ton mari est juif. L’un d’entre vous doit l’être en tout cas. Ça, c’est un acte officiel. Peut-être ne le saviez-vous pas vous-mêmes.
    – Est-ce que tu es saoul ? demanda Aristitza. Comment ne saurais-je pas devant quelle icône je me mets à genoux et quel est mon Dieu ?
    – Il ne s’agit pas d’icône, dit le gendarme. On peut être juif chrétien. Il s’agit du sang.
    – Mon sang à moi et le sang de mon mari, c’est un sang de chrétiens. Mais ceux qui ont enfermé mon fils et le font souffrir dans les prisons sont des païens !
    – Tu es sûre que ton mari est chrétien ? demanda le gendarme, insinuant. Durant toutes ces années de vie commune, tu aurais peut-être pu observer quelque chose. Pour les hommes c’est plus facile d’avoir la preuve que pour les femmes. Ou peut-être, ne le connais-tu pas en détail ?
    – Tu oses me dire que je ne connais pas celui à côté de qui j’ai dormi pendant trente-cinq ans ? hurla Aristitza. Même une putain se rend compte quel homme entre dans son lit, et tu oses me dire que j’ai dormi trente-cinq ans à côté de mon mari sans le connaître ? L’Autorité sait peut-être mieux que moi comment est le garçon que nous avons fait ensemble ? L’Autorité et toi, gendarme, vous venez me demander, à moi, compte de ce que j’ai porté dans mon ventre et nourri de mon lait ?
    Les yeux d’Aristitza s’étaient braqués sur l’encrier qui se trouvait en face d’elle. Elle voyait rouge. L’encrier qu’elle voulait attraper pour le lancer à la tête du gendarme était rouge. Les murs étaient rouges. Et le gendarme était rouge aussi.
    Le gendarme aperçut la direction du regard, et tira prudemment l’encrier vers lui.
    Les doigts d’Aristitza s’étaient agrippés à sa jupe avec fureur, comme si c’était le cou de l’Autorité qu’elle tenait entre ses mains. Au moment où l’encrier disparut de ses yeux, elle sentit que sa dernière arme lui était prise.
    Aristitza grinça des dents. Puis elle prit les pans de la jupe de ses deux mains et la releva en se couvrant la tête avec. La jupe large et plissée d’Aristitza s’envola comme secouée par l’orage. Sa chemise aussi s’était relevée. Son corps à la peau ridée et olivâtre était nu. Les seins pendaient comme deux sacs vides et noircis. Le gendarme vit ainsi, pendant quelques instants, toute la nudité d’Aristitza, de face, de dos et de profil. Il ferma les yeux. La porte du bureau claqua avec

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