La 25ème Heure
costume gris, un peu plus déchiré qu’auparavant et il était très maigre. Dans le camp on mangeait très mal.
Pendant que le caporal le relevait, Iohann Moritz regarda du coin de l’œil Joseph et se dit :
" Demain je lui apporterai un pain tout entier. "
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Cette nuit-là, Iohann Moritz eut la fièvre. Le lendemain, il fut transporté en ambulance à l’hôpital. Il savait que Joseph devait l’attendre près du mur pour chercher le pain et les cigarettes qu’il lui avait promis. Et il avait encore à ramasser le petit papier contenant l’adresse de Béatrice. Il regrettait que le Français l’attende en vain et soit déçu. Pauvre Joseph ! " pensa Iohann Moritz. " Peut-être a-t-il attendu avec impatience qu’il fasse jour et qu’à neuf heures je lui donne le pain ! "
Iohann Moritz se consola à la pensée que, dans quelques jours, il serait rétabli et qu’il pourrait lui porter chaque jour du pain et des lettres de Béatrice.
Mais Iohann Moritz avait une double pneumonie. Il resta deux mois à l’hôpital militaire.
Le 1 er février, le docteur lui dit :
– Cette semaine-ci tu pourras sortir de l’hôpital. Tu auras un congé médical de trente jours.
Iohann Moritz se dit que s’il avait le congé, il ne pourrait aller voir Joseph. Le Français attendait sans doute toujours que Iohann Moritz prenne l’adresse de Béatrice et lui écrive. Il attendait le pain et les cigarettes promis. Iohann Moritz se décida à renoncer au congé médical et à rejoindre la compagnie.
– Tu dois te remettre, mon garçon, dit le docteur. Tu as besoin de bien manger et de te reposer. Autrement tu es fichu. Où veux-tu passer ton congé ?
Iohann Moritz n’eut plus le courage de lui dire qu’il renonçait à son congé. Mais il rougit.
– Je comprends, dit le docteur. Tu n’as pas où aller, je pourrais bien t’envoyer dans un sanatorium pour convalescents, mais je crois que ce n’est pas ce qu’il te faut. Tu as besoin d’une atmosphère chaude, familiale…
Iohann Moritz s’attendrit. Le docteur avait deviné ses pensées. Il ne voulait ni argent, si sanatorium, ni bonne nourriture. Il désirait un endroit où il puisse se trouver comme chez lui.
– Tu as besoin d’une femme qui te soigne et qui t’aide, dit le docteur. Tu dois retrouver la confiance en toi. Autrement, tu ne guériras jamais. Dans les sanatoriums pour convalescents, tu trouveras des femmes tant et plus. Mais elles ne sont là que pour les nécessités sexuelles. Pour un malade dans ton état physique et psychique ce n’est pas l’article qu’il faut. Toi, mon garçon, tu as besoin de tendresse et non d’excitation.
Le docteur jeta un regard tout autour. Il était sûr de non diagnostic. Il savait ce qui convenait à son patient. Sa conscience professionnelle lui commandait de prescrire la tendresse, l’atmosphère de famille, la confiance, le dévouement d’une femme. Mais il ne pouvait offrir au patient aucun de ces médicaments. Cependant le patient ne pouvait guérir sans cela. Le regard du docteur s’arrêta sur l’infirmière qui se tenait à son côté, les fiches à la main.
– Schwester Hilda ! dit le docteur. Vous habitez en ville avec votre mère ?
– À deux pas de l’hôpital, répondit-elle. Avec ma mère.
Hilda regardait le docteur dans les yeux, avec la confiance d’un soldat qui attend, discipliné, les ordres de son officier.
Le docteur sourit. Il avait l’impression d’avoir trouvé l’article nécessaire.
– Je vous confie Iohann Moritz et vous le traiterez exactement comme votre mari. Dans un mois, vous me l’amènerez complètement rétabli. Je veux le voir avant de le renvoyer à son unité. Il a besoin d’une femme qui soit à la fois sa bien-aimée, sa sœur et sa mère !
– Je comprends, docteur.
C’était une fille aux joues roses et joufflues. Hilda avait vingt ans. Elle était courte de taille, et grassouillette.
Le docteur l’examinait satisfait. Il croyait voir en elle la tendresse nécessaire à Iohann Moritz. Regardant ses cheveux le docteur se dit : "Il est préférable qu’elle soit blonde. Une brune n’aurait pas été recommandée pour le cas du patient. Les blondes apaisent par leur présence même. "
– Vous aurez, à cette occasion, un congé de quatorze jours, dit le docteur. Durant ce temps vous vous occuperez exclusivement de lui. Vous n’avez qu’à prendre tous les jours la nourriture à la cuisine
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