La 25ème Heure
C’était Joseph.
– Salve Sclave ! répondit Moritz. Il serra les mains des autres prisonniers et appuyant son fusil contre un rocher, il entrouvrit son manteau et en retira une boule de pain et cinq paquets de cigarettes.
– Je te dois encore quinze marks, dit Moritz, en tendant les cigarettes à Joseph. Je n’ai pas pu acheter du savon. J’essaierai d’en apporter demain. Il sortit du sac qui lui pendait sur le côté, un pain et le donna à Joseph. Les prisonniers s’assirent et allumèrent des cigarettes. Moritz fumait, lui aussi. Chaque matin, depuis qu’ils travaillaient à ce pont, ils se reposaient et riaient ainsi une demi-heure, là sous le pont, avec Moritz. Puis ils se mettaient au travail jusqu’à midi. C’était la plus belle heure du jour pour les prisonniers comme pour Moritz. Il leur donnait les lettres qu’il recevait pour eux de France, à son adresse, les cigarettes, le pain et tout ce qu’il achetait en ville à leur intention. Puis ils se met taient à travailler. La plupart du temps, Moritz leur donnait un coup de main. Il le faisait discrètement pour ne pas être aperçu. Mais il le faisait avec plaisir. Les prisonniers ne voulaient pas le laisser faire. Mais il avait pitié d’eux. Les cinq prisonniers étaient tous des intellectuels et ne savaient pas trop comment s’y prendre. Moritz prenait la bêche et leur montrait. Il était habitué à ce genre de travail.
– Jean, aujourd’hui, j’ai quelque chose à discuter avec toi, dit Joseph.
Les autres prisonniers se mirent debout et commencèrent à travailler. On entendait les pelles et les bêches frapper la pierre, à coups réguliers.
– Nous allons nous évader, dit Joseph, dès qu’il fut seul avec Moritz. Pas aujourd’hui, mais un de ces jours nous allons nous évader tous les cinq.
Moritz regarda le Français. Il croyait que Joseph blaguait. Mais Joseph ne blaguait pas.
– Quel tort t’ai-je fait, à toi et aux autres, pour que vous vous évadiez ? demanda Moritz. Vous voulez que je pourrisse en prison tout le restant de mes jours ?
Moritz était blême de colère.
– Tu sais bien que je n’aurais jamais le cœur de vous tirer dessus si vous vous évadez, dit Moritz. Moi, je ne peux pas vous tuer. Et si je ne vous tire pas dessus, j’irai en prison. Mais je crois que tu as blagué.
– Non, je ne blague pas, dit Joseph. Nous devons nous évader. Mais toi, tu ne seras pas enfermé.
Moritz ne voulait plus l’écouter.
– Je vais demander à la compagnie qu’on me change de poste, dit-il. À partir de demain matin, je ne reviendrai plus avec vous au pont. Tout cela parce que vous voulez vous évader. Moi, je ne veux ni tuer, ni être enfermé. Je n’ai jamais tiré sur personne. Et je suis resté assez d’années déjà en prison. À partir de demain, je ne viens plus avec vous. Quand je n’y serai plus, vous pourrez vous évader. Cela vous regarde.
– Pourquoi ne veux-tu pas me laisser te dire notre plan ? demanda Joseph. Tu dois t’évader avec nous.
– Je n’ai pas de raison de m’évader ! répliqua Moritz. T’ai une femme et un enfant. Je ne suis pas enfermé. Si j’étais enfermé, alors peut-être que je m’évaderais.
– Mais tu es enfermé aussi, mon cher Jean, dit Joseph. Toi tu es simplement un esclave avec un fusil sur l’épaule, tandis que nous, nous sommes des esclaves sans fusil. Mais, pour le reste, nous sommes de la même espèce. Tu dois t’évader avec nous.
– À partir de demain matin, je ne viens plus avec vous, dit Moritz en allumant une cigarette. Il était rouge de colère.
– Mais nous voulons ton bien, mon vieux, dit Joseph. Tu sais que la guerre sera bientôt finie. Les Alliés avancent. Tu ne te rends pas compte que si jamais ils te trouvent en uniforme de S. S. tu auras ton compte ? Tu seras enfermé pendant dix ou vingt ans.
– Ne dis pas de bêtises, dit Moritz. Si les Alliés arrivent, ils n’auront pas lieu de m’enfermer. Je n’ai fait de mal à personne. À la radio aussi, on dit que les Alliés sont des hommes justes.
– Mais tu es leur ennemi, Jean. Tu es l’ennemi de la France, de ma patrie et de toutes les nations alliées.
– Moi je suis l’ennemi de la France ? demanda Iohann Moritz en colère. C’est parce que je suis l’ennemi de la France que je vous achète du pain, des cigarettes et tout ce que vous désirez ?
Moritz jeta sa cigarette.
– Je ne savais pas que vous me considériez comme
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