La 25ème Heure
restes-tu à pleurnicher comme une sotte ?
– Je ne peux pas, mère, dit Suzanna. J’ai peur.
– Pourquoi as-tu peur ? dit Aristitza. Pose ton oreille sur chaque poitrine. Retiens un moment ta respiration et écoute si le cœur bat. S’il ne bat plus, prie Dieu de recevoir son âme et signe-toi. S’il bat, alors nous aurons autre chose à faire qu’un signe de croix. As-tu compris ?
– J’ai compris, mais j’ai peur, dit Suzanna. "
– Bonne à rien ! cria Aristitza en colère. Comment mon garçon a-t-il pu t’épouser !
Aristitza s’était penchée sur un autre cadavre.
– Celui-là doit être le jeune procureur qui venait ; chaque semaine chez le prêtre Koruga, dit-elle. C’était ! L’ami de M. Traian. Un garçon comme il faut.
Aristitza écarta le veston et écouta un moment. Elle se leva et dit :
– Dieu ait son âme ! Il est mort, lui aussi. Le pauvre a peut-être une femme et des enfants qui l’attendent à la maison.
Aristitza avait presque oublié la présence de Suzanna. Elle avait trouvé le corps du prêtre Koruga et s’était penchée dessus avec respect et dévotion. Elle avait écarté la soutane et écoutait. Elle dit à voix basse : – Le prêtre n’est pas mort, ma fille. Elle avait écarté la soutane et écoutait. Elle dit à voix basse : – Le prêtre n’est pas mort, ma fille.
Suzanna commença à pleurer encore plus fort en entendant que le prêtre n’était pas mort. – Tu es devenue folle ? demanda Aristitza. Au lieu d’être heureuse, tu te mets à pleurer ? Viens près de lui pour écouter comme son cœur bat joliment.
Suzanna s’agenouilla devant le prêtre mais ne se pencha pas pour écouter battre son cœur. Aristitza prit la main du prêtre entre les siennes et dit : – Il est encore chaud, ma fille. Regarde comme il est chaud.
Les oreilles, les yeux et les mains d’Aristitza auraient voulu percevoir avec plus de précision encore la vie qui se trouvait dans le corps du prêtre. Mais en dehors de la chaleur de la main et des joues, et des battements du cœur, les sens d’Aristitza ne pouvaient plus rien saisir de la vie de l’homme qui se trouvait près d’elle.
– C’est ça la vie : quelques battements de cœur, et un peu de chaleur qui se dégage de la chair.
Aristitza estimait que c’était trop peu.
– Si ce n’est que cela la vie des hommes, c’est vraiment peu de chose, dit-elle.
Le calme régnait tout autour.
– Il sent bon le basilic et l’encens, dit Aristitza. Le corps du prêtre ressemble à une église, tellement il sent bon. Comme une vraie église.
Sauf le prêtre, tous étaient morts. Quelques-uns étaient encore chauds, ceux-là n’étaient pas morts sur-le-champ. Ils avaient souffert encore longtemps. On voyait à leurs cadavres qu’ils avaient dû se rouler dans l’herbe, avant de rendre l’âme. Les autres étaient glacés. Ceux-là étaient morts dès que la balle leur était entrée dans le corps.’
Aristitza essuya ses mains sur sa jupe. C’était la cinquième ou la sixième fois qu’elle faisait le même geste et ne savait pas trop pourquoi elle le faisait. Maintenant ! Ses genoux aussi étaient mouillés.
– Ça doit être leur sang, dit Aristitza. Dans cette obscurité, j’ai mis mes pieds et mes mains en plein dans leur sang. C’est un grand péché que de fouler aux pieds le sang d’un homme. Mais Dieu me pardonnera. C’était à cause de l’obscurité.
Tandis qu’Aristitza était descendue dans la fosse à purin et examinait les autres corps, Suzanna frictionnait le front du prêtre.
– Où est la plaie ? demanda Aristitza, sortant de la fosse et essuyant de nouveau ses mains sur ses jupes. !
– Je ne sais pas, mère.
– Tu ne sais jamais rien, dit Aristitza. Nous devons mettre tout de suite quelque chose sur la plaie. Si nous ne le faisons pas, tout le sang s’écoulera et la vie avec.
Aristitza trouva un endroit plus trempé de sang. Le prêtre était blessé dans le dos, en haut de l’épaule droite.
– Donne-moi vite des chiffons pour mettre sur la plaie, ordonna Aristitza.
Suzanna se demandait où elle allait pouvoir trouver des chiffons. Aristitza perdit patience. Elle releva sa jupe pour : déchirer un morceau de sa chemise. Ses mains cherchaient, crispées entre la peau et la robe, mais ne trouvaient pas de chemise. Elle releva sa jupe jusqu’à la poitrine.
– Où diable s’est donc fourrée cette chemise, dit Aristitza.
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