La 25ème Heure
mais deux fois par jour, parce que la vie de ceux qui luttent est toujours en danger et qu’ils ont besoin de la prière du prêtre et de la charité de la Vierge.
Le silence se fit parmi la foule.
– Si jamais vous faites une seule prière pour nous, vous serez fusillé ! dit Apostol Vasile.
– Ce n’est pas là un motif pour que je cesse de prier pour vous. La mort n’a jamais épouvanté un chrétien.
– Nous, nous partons dans les bois, dit Apostol. Avant de partir je vous prie de nous bénir et de nous faire tous communier. On ne sait pas ce qui va nous arriver et si nous reviendrons jamais. Nous partons lutter pour la Croix et pour l’Église !
– Si vous voulez lutter pour la Croix et pour l’Église par l’épée, vous vous engagez dans la voie du péché, dit le prêtre, et vous feriez mieux de rester chez vous. L’Église et la Foi chrétienne ne se défendent pas les armes à la main.
– Nous allons lutter pour la Roumanie qui est un pays chrétien, dit Apostol Vasile.
Il répartit les paysans en petits groupes. La plupart avaient décidé de se retirer dans la forêt. C’étaient les meilleurs de tout le village.
Parmi eux, il y avait aussi des femmes et des garçons qui étaient encore à l’école.
Ils s’agenouillèrent sur l’herbe de la cour.
Le prêtre Koruga leur lut une prière. Puis il les bénit chacun à son tour.
– Je vous prie de me donner à moi aussi votre bénédiction ! dit le procureur George Damian.
Il s’agenouilla devant le prêtre.
– Je veux me retirer dans les bois avec eux et combattre pour la liberté des hommes et pour l’humanité.
– L’Église offre sa bénédiction à tous ceux qui la demandent, dit le prêtre.
L’Église bénit-elle aussi ceux qui vont commettre une mauvaise action ? demanda le procureur. Ou bien êtes-vous convaincu de la justice de notre cause ?
– Aime et fais ce que tu voudras, dit le prêtre. Si votre action, monsieur le procureur, vient d’un élan sincère, n’ayez pas peur du péché. Vous êtes dans le droit chemin.
Le procureur baisa la main du prêtre Alexandru Koruga, comme venaient de le faire les paysans, et sortit de la cour avec les groupes qui partaient vers la forêt. Dans la maison, la femme du prêtre pleurait.
95
Deux heures étaient passées depuis le départ des paysans. Le prêtre essaya de lire pour dissiper son inquiétude. Mais, deux paysans qui n’étaient pas du village, pénétrèrent dans la bibliothèque, sans même frapper à la porte. Ils avaient des brassards tricolores et des revolvers. Le prêtre fit semblant de ne pas voir les armes, et les accueillit en souriant.
– Il me semble qu’on m’appelle à la mairie, dit le prêtre à haute voix pour être sûr d’être entendu par sa femme dans la pièce à côté. Il ne voulait surtout pas l’effrayer.
– Nous avons reçu l’ordre de vous amener devant le Tribunal du Peuple ! dit l’un des paysans à haute voix.
Le prêtre jeta un regard vers la chambre où devait se tenir sa femme. " Peut-être n’a-t-elle rien entendu ", pensa-t-il. Puis il posa le livre sur le fauteuil et sortit.
Avant de quitter la cour, il jeta un regard derrière lui, un regard d’adieu.
Les deux paysans l’escortaient et se tenaient à ses côtés. Il franchit le seuil, la tête haute. Il ne marchait pas comme un prisonnier. Il avait l’air de toucher le ciel de son front.
Et il marcha ainsi, dans la ruelle du village, de sa maison jusqu’à la mairie…
96
Le Tribunal du Peuple était présidé par Marcou Goldenberg. Il était assis dans le fauteuil du maire dans la grande salle de la mairie.
Marcou Goldenberg avait la tête rasée comme les bagnards. Les Russes l’avaient libéré, quelques jours auparavant, de la prison où il purgeait sa peine pour l’assassinat de Lengyel.
À la table du maire, à sa droite, se tenait Aristitza, la mère de Iohann Moritz. Marcou Goldenberg l’avait choisie comme juge parce qu’elle était la plus pauvre "citoyenne" de Fântâna. À sa gauche, Ion Calugaru qui avait tué un gendarme à coups de hache quelques années auparavant. C’était ce qui avait déterminé son choix.
Le prêtre Koruga les salua. Marcou Goldenberg le regarda fixement, mais ne répondit pas à son salut.
Aristitza et Ion Calugaru baissèrent les yeux. Ils firent semblant de ne pas le voir. Ils en avaient déjà jugé d’autres avant l’arrivée du
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