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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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des bivouacs à celle des salons et savait se reposer dans les
pires conditions ; il se drapait dans son manteau, se couchait, ronflait
aussitôt et rêvait aux scènes héroïques qu’il s’impatientait de vivre. Les
autres, officiers, soldats, avaient des nerfs et des angoisses, les traits
tirés, des rides en plus. Des alertes générales avaient déjà remis les
bataillons sur pied, pour trois fois rien, des escarmouches, des tirs isolés
qu’on devait à la proximité des campements autrichiens et à cette obscurité qui
ne permettait pas de distinguer les uniformes. Chacun pensait qu’il se
reposerait après la bataille, sur terre ou en dessous.
    Dans le grenier fortifié d’Essling, assis sur un tambour,
une planche sur les genoux, le colonel Lejeune écrivait à Mademoiselle Krauss.
Il méditait en trempant sa plume de corbeau dans le petit encrier qu’il
emportait toujours pour ses croquis. Il ne racontait rien à Anna des horreurs
et des dangers, il ne lui parlait que d’elle, et des théâtres de Vienne où ils
iraient bientôt, des tableaux qu’il envisageait de peindre, de Paris surtout,
du célèbre Joly, ce coiffeur en vogue qui lui tournerait un chignon à la Nina,
et des bijoux qu’il lui offrirait, ou des souliers de chez Cop, si légers qu’on
les déchirait en marchant ; ils iraient se promener dans les allées et
sous les kiosques de Tivoli, à la lueur des lanternes rouges pendues aux
arbres. Lueur, rouge, ces mots n’évoquaient pas Tivoli dans l’esprit de
Lejeune ; ils lui avaient été inspirés par les incendies qui
l’environnaient. Bref, il se voulait désinvolte mais n’y parvenait pas ou mal,
cela devait se sentir, ses phrases restaient sèches, trop brèves, comme
inquiètes. La guerre n’a rien de lyrique, pensait-il, ou alors de loin. Il
avait tout de même failli mourir au moins trois fois pendant cette journée
sauvage. Les images d’Aspern en feu remplaçaient celles des jardins calmes de
Tivoli, et Masséna les artistes en cheveux que la mode enrichissait.
    — Lejeune !
    — Votre Excellence ?
    — Lejeune, demanda Berthier, où en sont les réparations
du grand pont ?
    — Périgord est sur place. Il doit nous prévenir quand
les troupes de la rive droite pourront passer le Danube.
    — Allons voir, dit encore Berthier qui jusque-là
discutait avec le maréchal Lannes.
    Ils avaient estimé les pertes, savaient désormais que
Molitor avait perdu la moitié de sa division, trois mille hommes qui jonchaient
les rues d’Aspern et les champs alentour, sans compter les blessés perdus pour
la bataille du lendemain, dans trois heures, quatre au plus, quand les ennemis
se retrouveraient à l’aurore et qu’ils s’élanceraient, fourbus, dans de
nouvelles mêlées. Ils se levèrent ensemble, Berthier, Lannes, leurs aides de
camp et leurs écuyers ; en cortège, ils menèrent leurs chevaux au pas en
longeant le Danube, mal éclairés par les flammes qui embrassaient toujours une
partie des villages. Lejeune n’avait pas terminé sa lettre, dont il avait séché
l’encre avec une poignée de sable. Le vent s’était levé, qui rabattait la fumée
vers la Lobau, et les yeux piquaient. Comme ils approchaient des arrières
d’Aspern, on entendit des coups de feu.
    — J’y vais ! dit Lannes en tournant son cheval.
    Il s’enfonça dans les blés hauts et noirs qui le séparaient
d’Aspern. Son aide de camp, Marbot, le suivit d’un mouvement machinal, puis au
bout de plusieurs foulées il le précéda car il savait mieux le chemin et ses
obstacles. Les autres continuèrent vers l’île et le petit pont. Le maréchal et
son capitaine avançaient avec lenteur et prudence. Dans son dernier croissant
la lune était faible, et la nuit si épaisse qu’on n’y voyait rien. Un vent
contraire, qui amenait une odeur de brûlé, agaçait les chevaux et faisait
voleter les plumes sur le bicorne du maréchal.
    Pour soulager son cheval, et inspecter le sol de ses bottes,
Marbot mit pied à terre et tira la bête par sa bride.
    — Tu as raison, disait Lannes, ce n’est pas le moment
de nous casser les jambes !
    — Votre Excellence, on vous dégotterait une calèche
pour y diriger nos attaques.
    — Belle idée ! Je tiens à mes jambes, moi.
    Et il descendit à son tour de sa selle pour cheminer à côté
du capitaine qu’il estimait depuis tant d’années.
    — Que penses-tu de cette journée d’hier ?
    — Que nous avons vu pire, Votre

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