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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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la
manche, on a cru qu’il avait pris un boulet mais c’est parti quand on a essuyé.
    — Eh bien il a pris en pleine figure le corps d’un
camarade déchiqueté. De toute façon, ça a dû lui taper sur la tête.
    Percy se baissa vers le faux blessé :
    — Tu peux parler ? Tu m’entends ?
    Paradis resta immobile mais bredouilla pour réciter son
identité :
    — Soldat Paradis, voltigeur, 2 e  de
ligne, 3 e  division du général Molitor sous les ordres du
maréchal Masséna…
    — T’inquiète pas, je ne vais pas te renvoyer là-bas, tu
n’es plus en état de tenir un fusil. (À Morillon :) Ce gars est
costaud, allez me l’habiller, on a de quoi l’employer.
    Le docteur et son assistant rétablirent Paradis sur ses
jambes, et le voltigeur en caleçon suivit Morillon avec docilité. Dehors, sur
des ballots de paille entassés, les blessés que Percy jugeait condamnés, faute
de médicaments et de matériel, portaient sur le front une croix à la
craie ; ainsi on ne les confondait pas avec les nouveaux arrivants, et on
ne risquait pas de les ramener par inadvertance sur la table de chirurgie. Les
agonisants ne verraient sans doute pas l’aube, ils étaient perdus pour la
bataille et pour la vie. Tout près, sous une haie d’ormeaux, les rabatteurs des
ambulances avaient disposé une sorte de boutique où ils revendaient pour leur
compte les capotes, les sacs, les gibernes, les vêtements glanés dans la plaine
sur les cadavres autrichiens et français.
    — Gros-Louis, dit Morillon à un lourdaud coiffé d’un
bonnet, tu vas nous équiper ce gaillard.
    — Il a des sous ?
    — C’est un ordre du docteur Percy.
    Gros-Louis soupira. Son commerce était toléré mais s’il
refusait d’obéir au médecin, celui-ci pourrait lui interdire de vendre les
effets militaires qu’il récupérait. Il s’exécuta à contrecœur et Paradis se
retrouva attifé de pantalons verts à galon jaune, de bottes trop grandes, d’une
chemise à la manche droite déchirée et d’un gilet de chevau-léger qu’il eut du
mal à boutonner. Morillon le confia à une équipe de cantiniers chargés du
bouillon des blessés.
     
    Le repas était moins grossier à la table de l’Empereur,
dressée dans son bivouac à la tête du petit pont. Des marmitons tournaient des
volailles à la broche sur un feu de brindilles et les peaux grésillaient,
doraient, sentaient bon. Monsieur Constant avait disposé ses tréteaux, ses
nappes et ses lanternes sous un bosquet, ainsi ne voyait-on pas le convoi des
malheureux qu’on amenait au docteur Percy et qui, s’ils ne périssaient pas
auparavant, auraient tout à l’heure un membre scié. On dînait tranquille en
oubliant un instant les canons. Lannes était assis à la droite de l’Empereur
qui l’y avait invité pour le cajoler. Le maréchal avait raconté son
altercation, en modifiant la vérité à son avantage, et Napoléon avait convoqué
Bessières pour le sermonner en termes vifs avant de le renvoyer. Bessières
avait été l’offensé, il devenait l’offenseur parce que Sa Majesté l’avait
décidé, et qu’elle aimait ce type d’injustice pour tremper son entourage,
embrassant ou giflant sans raison évidente mais selon son plaisir. Au lieu de
réconcilier les deux maréchaux, il les divisait encore, attisait leur haine car
il avait besoin de se sentir en toute circonstance le seul juge, l’unique
recours, et que ses ducs ne s’entendent pas trop entre eux pour ne pas un jour
s’entendre contre lui.
    Ces considérations dépassaient le maréchal Lannes, assombri
par sa dernière querelle, et lui, le dévoreur de poulets en série, il chipotait
sur un pilon doré. Il préférait remuer des pensées mélancoliques. Il s’y
complaisait. Il se rêvait ailleurs, avec sa femme, dans l’une de ses maisons,
ou chevauchant sans danger en Gascogne, fortune faite, en paix. L’Empereur
recracha des os dans l’herbe et remarqua l’humeur maussade de son
maréchal :
    — Tu n’as pas faim, Jean ?
    — Je manque d’appétit, Sire…
    — On dirait que tu boudes comme une fillette
grondée ! Basta  ! Demain, Bessières t’obéira et nous la
gagnerons, cette couillonne de bataille !
    L’Empereur déchira avec les doigts sa carcasse de volaille,
y planta les dents, et, la bouche pleine, après s’être essuyé les lèvres à sa
manche et les doigts à la nappe, il expliqua à Berthier, Lannes et son
état-major la marche qu’ils allaient

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