La Bataillon de la Croix-Rousse
Girondins : personne à Lyon ne s’opposera à sa mort. Quand le jugez-vous ?
– Demain.
– Lui mort, il ne nous restera plus qu’à donner un chef militaire aux Lyonnais.
– Nous avons choisi de Précy. C’est bien l’homme qui convient à la situation.
– Bon ! dit la baronne, de Précy ! Il a du feu dans le sang celui-là et il fera canonner les républicains, mais, l’abbé, dès que la parole est aux canons, le rôle des diplomates est fini, n’est-ce pas ?
Roubiès devina la pensée de la baronne.
– Ceci revient à dire, baronne, que vous n’avez plus rien à faire dans Lyon, dit finement l’abbé, pénétrant la pensée de M me de Quercy. Il est certain que vous nous seriez plus utile à Marseille et à Toulon, qu’il faut soulever.
– J’allais vous proposer de partir pour le Midi.
– Et vous descendriez le Rhône avec Saint-Giles ?
– Justement ! Vous avez deviné mon plan. Il me protègera et me fera passer pour sa sœur dans les régions où les Jacobins dominent. Il est chevaleresque et généreux : après l’avoir fait évader de Lyon, le moins qu’il puisse pour moi, c’est de me dire sa parente et de m’accompagner jusqu’à Marseille où je serai en sûreté, la ville étant pleine de royalistes.
– Et ce sera toujours cela de gagné pour l’amour ! Oh ! baronne ! vous vous damnez !
– J’aurai, mon cher abbé, pour aller au ciel ou le martyre de l’échafaud ou vingt ans de vieillesse pieuse.
Puis d’un air caressant :
– Tâchez que Châlier meure avant trois jours car je ne veux partir qu’après son exécution et il faut que Saint-Giles sorte de prison avant ce délai.
– Baronne ! dit l’abbé, vous avez ma parole. Vous verrez tomber la tête de Châlier avant la fin de la semaine.
Il la reconduisit avec le respect le plus galant, mais quand elle fut partie :
– Allons, ce n’est qu’une femme, dit-il.
Il se sentait fort, cet homme qui sacrifiait tout à l’ambition.
Mort de Châlier
Le crime, le grand crime de Lyon, aux yeux des Jacobins, fut l’assassinat juridique de Châlier.
Cette exécution rendit plus tard les Jacobins vainqueurs implacables.
Dans le déchaînement de colères qui suivit la prise de la ville, on ne vit que le meurtre, sans se rendre compte des circonstances.
Toute une cité avait demandé la tête d’un républicain insulté à son agonie, applaudi aux tortures qu’il avait endurées sur l’échafaud : cette cité devait expier ce crime.
Ce que l’on oubliait, ce qui absout Lyon devant l’histoire, c’est que la bonne foi des Girondins lyonnais fut surprise ; c’est que la fausse lettre dont l’abbé Roubiès ordonna la fabrication et la divulgation fit croire aux gardes nationaux de Lyon que Châlier était un traître et un partisan secret de la royauté.
Dans cette fausse lettre, Châlier était représenté comme appelant l’ennemi en France.
Ah ! Quel profond dégoût soulève le cœur quand on songe que ceux qui poursuivaient Châlier de cette accusation meurtrière, « Il veut un roi », étaient précisément des royalistes !
Châlier, dans sa prison, éprouva l’amer désespoir de ceux qui se sentent frappés par le peuple qu’ils ont aimé et défendu.
« Tout trahit le peuple », écrivit-il avec sanglots, « et le peuple lui-même se trahit. »
Toutefois, dit Louis Blanc, il restait à l’infortuné des amis fidèles, prêts à donner pour lui tout le sang de leurs veines. Bernascon et Lauras formèrent le projet de l’arracher par force de sa prison. Ils rassemblèrent cinquante hommes déterminés et peut-être eussent-ils réussi, sans les pièces de canon chargées à mitraille qu’on avait eu soin de disposer dans toutes les avenues conduisant à la prison.
Il fallut renoncer à délivrer Châlier.
Le jour du jugement était fixé au 16 juillet.
Jamais procès ne fut plus émouvant ; l’histoire a buriné cette scène mémorable.
Le jour, dit Louis Blanc, arriva, où celui que Bernascon appelle le plus humain des hommes allait être sacrifié. C’était le 10 juillet. En présence d’une foule nombreuse, lecture fut faite des dépositions. Tout à coup Bernascon fend la foule, demandant à défendre son ami ; mais on le repousse, on crie que quiconque osera parler en sa faveur est son complice. La sœur de Marteau, la Pie et la femme de Bemascon s’enfuient, épouvantées. Bernascon
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