La Bataillon de la Croix-Rousse
brûlé la cervelle à ce capitaine ? demanda le général d’un air de reproche.
– Parbleu, fit Mouton. C’était l’ordre.
– En sorte que si un de ces représentants en mission vous commandait de me brûler la cervelle, vous le feriez.
– Sans hésiter… Voyez-vous, mon général, Dumouriez a trahi, Custine a trahi, d’autres trahiront. Je vous crois incapable de cette infamie : mais enfin si les représentants en mission n’avaient pas démasqué Dumouriez, il livrait son armée à l’ennemi. Mon général, la Convention, c’est la France : je suis et je serai toujours du côté de la France. Ce que les représentants ordonneront, je le ferai. S’ils se trompent, la Convention leur donnera un bon pour la guillotine où ils porteront leur tête à couper. Je vous engage donc, mon général, à vous soumettre franchement, comme moi, à leurs décisions.
– Morbleu, lieutenant, vous ne me direz pas que votre cœur ne saigne pas à l’idée de tuer des Français !
– Eh ! général, il saigne, mais comme c’est son métier de cœur de saigner, je le laisse faire ; ma tête qui pense, fait sa besogne de son côté, et comme elle commande à mon bras de taper sur les révoltés, je tape.
Le guet-apens de la Croix-Rousse
Le général d’artillerie de Chenelettes venait d’arriver, mandé par Roubiès.
Celui-ci le reçut sans témoin.
– Général, lui dit l’abbé, je viens de recevoir du dehors un avis important. Avant deux heures d’ici, l’ennemi se présentera devant les retranchements de la Croix-Rousse.
– Je le sais ! dit Chenelettes. Mes espions particuliers m’ont prévenu et j’attends l’ennemi.
– En tête duquel, dit Roubiès, marche un bataillon de Jacobins lyonnais, dit de la Croix-Rousse.
– Et commandé par Saint-Giles ! ajouta Chenelettes.
– Vous êtes bien renseigné, général, répliqua Roubiès. C’est cela ! Mais ce bataillon apporte une sommation qu’il doit nous faire signifier par un trompette et qui nous donne une heure pour réfléchir avant que les républicains ne commencent le feu sur la ville avec les pièces de campagne de petit calibre que ce détachement traîne avec lui.
– Deux méchants canons de calibre de 4 ! fit Chenelettes. Nous sommes en mesure de pulvériser ça.
– Je n’en doute pas ; mais je trouve qu’il serait très dangereux de laisser des pourparlers s’établir entre nos avant-postes et l’ennemi : qu’une seule de nos compagnies tourne et passe aux Jacobins, c’est fini ; Lyon nous fond dans la main.
– Et nous sommes frits dans cette friture comme des goujons du Rhône dans l’huile ! dit Chenelettes en riant – aussi faut-il aviser.
– J’ai pensé, fit Roubiès, que, si quelqu’un de nos artilleurs, par imprudence, tirait un coup de canon sur les républicains qui vont chercher à s’aboucher avec les nôtres, cela romprait les pourparlers ; on s’accuserait des deux côtés de guet-apens et de trahison ; les deux partis s’en voudraient à mort.
– Malheureusement, dit Chenelettes, ce que vous me proposez-là est impossible.
– Pourquoi donc ? Un artilleur ivre, tirant sans ordre, cela se voit dans tous les sièges.
– Mais ce coup de canon est entendu par les deux armées : ce coup de canon est commandé ; ce coup de canon fait crier au guet-apens, comme vous dites ; et puis la loyauté militaire me défend d’employer ce moyen…
– Oh ! général, un scrupule aussi mesquin ! Comment ! nous qui trahissons si ouvertement la France pour rétablir son roi, nous nous arrêterions à cette misère ?
– Oui ! Toute déloyauté déplaît au soldat. Je ne tiens pas à mériter le mépris de mon armée. L’estime du général est pour moitié dans le courage des troupes. Aussi ai-je pensé à autre chose.
– Ah !
– Oui. Il m’a semblé que quelques coups de fusils remplaceraient avantageusement votre coup de canon, surtout s’ils étaient tirés dans les rangs des républicains.
– Ah ! général, nous commençons à nous comprendre. Mais comment amènerez-vous les républicains à nous envoyer des coups de fusil ?
– Je n’ai pas dit que ce seraient les républicains qui tireraient, j’ai dit seulement que les coups partiraient de leurs rangs.
– Je vous comprends encore mieux que tout à l’heure. Vous enverrez des émissaires.
– Ils sont partis. Ce sont des hommes
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