La Bataillon de la Croix-Rousse
caricaturiste Saint-Giles, le surveiller de près, éclairer ses actions ».
Il a été l’amant de la ci-devant Quercy.
Couthon avait fait passer cette note à Dubois-Crancé.
Il en était résulté que Dubois-Crancé avait consulté ses policiers.
Ceux-ci avaient indiqué à Dubois-Crancé, comme des hommes sûrs, Monte-À-Rebours et la Ficelle, ex-policiers eux-mêmes, capitaines à cette heure dans le bataillon de la Croix-Rousse.
Et il en était résulté que ces deux agents avaient reçu mission de surveiller leur chef de bataillon.
À ces heures de crise, quand le soupçon est partout, les meilleurs, pour une imprudence, sont ainsi mis en suspicion.
Saint-Giles était donc parti avec son bataillon pour cette expédition de la Croix-Rousse avec l’assentiment de Dubois-Crancé.
Mais à peine s’était-il mis en marche que Dubois-Crancé fit appeler un officier de gendarmerie qui remplissait les fonctions de grand prévôt.
– Capitaine, lui dit-il, vous allez convoquer la cour martiale ici ; il faut qu’elle soit assemblée dans une heure d’ici.
– Nous aurons donc quelqu’un à juger ? demanda le grand prévôt.
– Peut-être.
– Est-ce moi qui porterai la parole pour l’accusation ?
– Oui.
– Alors, citoyen représentant, donne-moi mes instructions ?
– Il s’agit du commandant du bataillon de la Croix-Rousse, Saint-Giles.
– Il est suspect ?
– Voici les notes qui le concernent, dit Dubois-Crancé.
Le grand prévôt prit connaissance de ces notes, les transcrivit sur son carnet et dit :
– Diable !
– Diable… quoi ? demanda Dubois-Crancé. D’abord, il n’y a plus de diable, puisqu’il n’y a plus de Dieu.
– C’est juste ! fit le grand prévôt. Je retire le mot et je dis tout simplement Sacrebleu !
– Et pourquoi ce sacrebleu ?
– Parce que j’aurais juré sur ma tête que ce grand beau garçon était franc comme l’or.
– Et maintenant ?
– Maintenant… je doute… puisque tu le soupçonnes et qu’on l’accuse.
– En ce moment, dit Dubois-Crancé, il remplit une mission à la Croix-Rousse. S’il se conduit bien, ce sera bien… provisoirement.
– Et, s’il se conduit mal, je l’arrête et je le mène devant la cour martiale ?
– C’est cela.
– Mais s’il passe à l’ennemi ?…
Et sur cette question, en gendarme qu’il était, le grand prévôt se frisa les moustaches.
Il croyait prendre Dubois-Crancé en faute.
– À ton air, citoyen capitaine, dit le représentant, je comprends ton arrière-pensée.
Le prévôt sourit.
– Tu te dis, reprit Dubois-Crancé, que j’ai eu tort de donner à Saint-Giles l’occasion de trahir.
– Peuh ! fit le prévôt. C’est une idée comme une autre qui m’a passé par la tête.
– Eh bien, capitaine, j’ai calculé mon affaire. Je me suis dit que rien n’était plus dangereux qu’un traître, dans certaines circonstances. Mais l’affaire de la Croix-Rousse n’est pas de ces circonstances-là. Si Saint-Giles trahit, il ne compromet qu’un bataillon ; le compromettant, ou il sera pincé et fusillé, ou il fuira. Ce sera dans les deux cas un traître de moins.
– Bon ! fit le grand prévôt. Voilà qui est bien raisonné.
– Merci de l’approbation ! dit avec un dédain narquois Dubois-Crancé.
Puis concluant :
– Donc un rapport sur notre homme, un rapport tout prêt basé sur les notes que vous venez de lire ; au bas une place blanche pour une accusation formelle de trahison, s’il trahit. Tout étant ainsi prêt en une heure, Saint-Giles peut être jugé, condamné et fusillé. Va, citoyen capitaine.
Le prévôt salua militairement et s’en alla.
– Sacrebleu, dit-il, en frisant sa moustache, j’ai vu de rudes hommes en ma vie de gendarme, mais celui-ci a quatre poils au moins de plus que les autres.
Étonner un gendarme, ce n’est pas facile ; le prévôt, cependant, s’avouait qu’il avait rarement rencontré un caractère comme celui de cet ex-mousquetaire.
Au fond, il ne croyait pas à la culpabilité de Saint-Giles, et il se dit :
– Pauvre artiste ! Quel dommage ! Se compromettre pour une amourette.
Mais c’était l’homme qui parlait ainsi ; le gendarme reprit bientôt le dessus, car le capitaine se dit :
– Allons-y donc d’un grand morceau d’éloquence sur les amours dangereuses qui perdent les meilleurs républicains. Le pauvre
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