La Bataillon de la Croix-Rousse
toujours une certaine répulsion instinctive contre le soldat citoyen, le milicien, miles , comme disaient les Romains qui firent la conquête du monde avec des milices commandées par des magistrats revêtus de l’autorité militaire (consuls, proconsuls et préteurs).
Il y avait donc hostilité et incompatibilité entre la conception militaire de la Convention et celle des états-majors encore imbus des traditions de la monarchie et du statut militaire aristocratique du temps des rois.
Mais ce qui surtout était insupportable aux généraux, c’était la présence dans les camps de ces représentants en mission dont la surveillance jalouse, soupçonneuse, vigilante, était gênante même pour les plus actifs, les plus zélés et les plus intelligents.
Ces représentants étaient de terribles hommes ; d’une bravoure indomptable, ils marchaient en tête des soldats, panache au vent, l’écharpe flottante, attirant sur eux le feu de l’ennemi ; d’une audace presque toujours heureuse, ils ordonnaient d’attaquer et de vaincre sous peine de mort au général hésitant, et, comme Jourdan, ce général s’immortalisait par le gain d’une bataille qu’il n’osait pas livrer.
Ces représentants indomptables avaient empêché ou puni toutes les trahisons, toutes les faiblesses, toutes les négligences.
Dumouriez avait été obligé de passer à l’ennemi ; son armée qu’il voulait faire marcher sur la Convention pour faire roi le duc d’Orléans, fit feu sur lui quand il la harangua.
Houchard, Custine, sous l’œil de ces farouches censeurs, allaient payer leurs fautes de leur tête.
Aussi les généraux étaient-ils sourdement mécontents, aigris, hostiles, mais, dans le lointain, ils voyaient se profiler la silhouette sinistre de la guillotine, et cette mort honteuse les épouvantait ; ils obéissaient et faisaient des prodiges en se sentant, comme le disait l’un d’eux, la hache sur le cou.
Kléber, en Vendée, était un des mécontents, quoique républicain sincère.
Kellermann était de ceux qui, tout en servant fidèlement la République, exécrait les représentants en mission tout en faisant des prodiges sous leurs yeux.
Avec un petit nombre de troupes, dit Lamartine, Kellermann écrasait partout ces résistances. Le petit corps d’armée qu’il avait en Savoie se présentait comme une digue mobile, d’une vallée à l’autre, en franchissant les faites, et arrêtait partout le débordement qui descendait sur nous des hauteurs.
Kellermann était de ces races militaires habiles et intrépides au combat, plus faites pour conduire des soldats que pour se mêler aux débats des partis : voulant bien être chef des armées de la République mais non exécuteur de ses sévérités, il craignait dans l’avenir la renommée de destructeur de Lyon. Il savait quelle horreur s’attache dans la mémoire des hommes à ceux qui ont mutilé la patrie. Le renom de Mariens du Midi lui répugnait. Il temporisa quelque temps, tenta la voie des négociations, et, pendant qu’il rassemblait ses troupes, il envoya sommation sur sommation aux Lyonnais. Tout fut inutile. Lyon ne lui répondait que par des conditions qui imposaient à la Convention la rétractation du 31 mai, la révocation de toutes les mesures prises depuis ce jour, la réintégration des députés girondins, le désaveu d’elle-même, l’humiliation de la Montagne. Kellermann, pressé par les représentants du peuple, Gauthier, Nioche et Dubois-Crancé, resserra le blocus encore incomplet de la ville.
C’est le 8 août qu’il prit cette mesure et il ne cachait pas sa mauvaise humeur d’être obligé de pousser le siège.
Il venait d’expédier des ordres divers lorsque son aide de camp lui annonça un courrier.
Le général murmura entre ses dents, avec une fureur sourde :
– Encore une lettre de Paris et des ordres du Comité. Ces gens-là sont assommants. Quels impertinents drôles ! À moi le vrai vainqueur de Valmy, des ordres, des ordres de maîtres à valets ! Comme si je ne savais pas mieux qu’eux ce que j’ai à faire.
Et à son aide de camp :
– Lieutenant, faites entrer ce courrier ; vous resterez là, près de nous.
Le lieutenant sortit et revint bientôt avec le courrier du Comité de Salut public.
Celui-ci qui ne cessait de faire la navette de Paris aux armées, connaissait le général.
– Ah ! fit Kellermann, c’est toi citoyen Deboire. Quelles nouvelles
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