La Bataillon de la Croix-Rousse
d’eux murmura :
– C’est la veuve !
Un d’eux lui cria :
– Sauvez-vous !
Elle se retourna lentement et dit à cet homme :
– Sauve-toi toi-même, tout est perdu.
Mais elle n’en marcha point plus vite, laissant le soldat stupéfait de ses allures.
Cette femme qui déclarait tout perdu, qui conseillait aux soldats de fuir, cette femme qui devant un péril imminent marchait d’un pas si grave, produisit sur les quelques vétérans qui la virent un effet saisissant.
Elle passa ainsi devant quelques-uns, puis elle s’arrêta en face d’un factionnaire préposé à la garde d’un petit caveau qui servait de magasin à poudre pour toutes les caves.
Ce sapeur du génie avait un bras de moins ; c’était un amputé de Fontenoy.
La femme en noir le regarda d’un air singulier et lui demanda d’une voix impérative :
– Es-tu bon royaliste ?
– Oui, répondit-il.
– Veux-tu que la République périsse ? lui demanda-t-elle encore.
– Oui, dit-il résolument.
Ce dialogue brusque avait un caractère bizarre.
Le soldat pressentait que cette femme nourrissait quelque projet extraordinaire.
Les deux sapeurs du génie, échappés à l’explosion, avaient entendu les questions posées. Ils voyaient la terrible veuve.
Sur la réponse du factionnaire, celle-ci chercha dans sa robe un pistolet, recula d’un pas, arma la batterie et fit feu sur ce soldat qui venait de confesser sa foi politique.
Il tomba…
Elle poussa la porte de la poudrière qu’il gardait, ramassa sa lampe de mineur et entra dans le caveau où se trouvaient accumulées les poudres nécessaires au travail d’une nuit.
C’est à ce moment que les deux survécus sautèrent dans l’eau.
Trois secondes plus tard une explosion formidable faisait sauter les voûtes des caves, éventrant les planchers et les toits, soulevant des centaines d’autres explosions sur le parcours des jets de flammes lancés dans toutes les directions par la compression de l’air et allumant un incendie que rien ne put éteindre.
L’arsenal avait sauté…
M me Saint-Giles avait vécu.
Les royalistes de Lyon lui avaient infligé une flétrissure imméritée : elle se vengeait en ruinant leurs ressources et lavait la honte subie dans le feu d’un volcan allumé par ses mains.
Auparavant elle avait fait fuir les femmes et les enfants qu’elle voulait épargner.
Aux soldats elle avait jeté le conseil de se sauver.
Lyon peut maudire cette catastrophe.
A-t-il le droit d’en mépriser l’auteur ?
La salamandre
Au moment où sa mère faisait sauter l’Arsenal, Saint-Giles rendait un immense service à la République.
Cette nuit même, vers dix heures, Dubois-Crancé allait le trouver à Cuire où il l’avait fait prévenir de mettre son bataillon sous les armes.
– Commandant, lui dit Dubois-Crancé, vous semble-t-il possible de célébrer l’anniversaire de la Saint-Barthélemy en enlevant la maison Panthod et en vous y maintenant ?
– L’enlever, oui ; y mourir, oui ; s’y maintenir, je n’en puis répondre : la maison Nérat nous écrasera de ses feux.
– Je donnerai l’ordre au général Dumuy de faire attaquer la maison Nérat si je puis compter sur vous pour la maison Panthod. Ce sera une diversion.
– Général, si une autre colonne occupe seulement pendant une heure la maison Nérat, la maison Panthod est à nous. J’y entre et j’y reste.
– Jamais vous et votre bataillon vous n’aurez couru si grand péril.
– Je le sais, mais nous sommes tous morts d’avance.
– Allez, dit Dubois-Crancé. Si vous réussissez, jamais la République n’aura trop de reconnaissance pour les services que lui rend votre famille.
Saint-Giles prit ses dispositions, sachant bien qu’il allait faire décimer son bataillon et affronter mille morts.
Mais Saint-Giles était un héros.
L’armée l’appelait La Salamandre.
Il vivait dans le feu.
Ce qu’il ignorait avant de commencer l’attaque, ce que savait Dubois-Crancé, c’était que l’arsenal devait sauter cette nuit vers minuit et que celle qui mettrait le feu aux poudres serait M me Saint-Giles.
Cette première phase du siège est l’une des plus sanglantes : c’est une série de combats où, des deux côtés, l’on déploya l’héroïsme qui force l’admiration de la postérité pour le courage des deux partis.
Cette première phase se déroula tout entière devant la Croix-Rousse et sa ligne
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