La Bataillon de la Croix-Rousse
quartier ou sur un toit, ils se précipitaient non pour la fuir, mais pour l’étouffer en arrachant la mèche. S’ils y réussissaient, ils jouaient avec le projectile éteint et le portaient aux batteries de la ville pour le renvoyer aux ennemis : s’ils arrivaient trop tard, ils se couchaient à terre et se relevaient quand la bombe avait éclaté.
Des secours partout organisés contre l’incendie apportaient, par des chaînes de mains, l’eau des deux fleuves à la maison enflammée.
La population entière était divisée en deux peuples, dont l’un combattait sur les remparts, dont l’autre éteignait les flammes, portait aux avant-postes les munitions et les vivres, rapportait les blessés aux hôpitaux, pansait les plaies, ensevelissait les morts. La garde nationale, commandée par l’intrépide Madinier, comptait six mille baïonnettes. Elle contenait les Jacobins, désarmait les clubistes, faisait exécuter les réquisitions de la commission populaire, et fournissait de nombreux détachements de volontaires aux postes les plus menacés. Précy, Virieu, Chenelettes, présents partout, traversant sans cesse la ville à cheval pour courir et pour combattre d’un fleuve à l’autre, allaient du camp au conseil et du conseil au combat. La commission populaire, présidée par le médecin Gilibert, Girondin ardent et courageux, n’hésitait ni devant la responsabilité ni devant la mort. Dévouée à la victoire ou à la guillotine, elle avait reçu du péril commun la puissance qu’elle exerçait avec le concours unanime de toutes les volontés. L’autorité est fille de la nécessité. Tout pliait sans murmure sous ce gouvernement de siège.
Quel tableau !
Quelle magique évocation d’une scène sublime d’horreur !
La femme en noir
Pendant la nuit du 21 au 25 août, le bombardement fut particulièrement terrible.
À l’arsenal, l’immense édifice qui s’élevait sur les bords de la Saône, on travaillait avec une activité fébrile.
Les assiégés faisaient une consommation énorme de cartouches afin de répondre au feu des assiégeants.
On avait fait appel aux ouvrières de bonne volonté pour la fabrication des cartouches : une bonne rétribution en nature et en argent en avait attiré beaucoup.
Elles travaillaient dans les caves, à l’abri de la bombe, séparées en trois brigades, fournissant chacune huit heures sur vingt-quatre.
Parmi ces femmes, on comptait beaucoup de campagnardes, qui, royalistes enragées, avaient horreur des soldats républicains : elles s’étaient réfugiées dans Lyon avec leurs meubles, leurs bestiaux et leurs provisions.
On logeait ces émigrées de l’extérieur dans les maisons abandonnées par leurs propriétaires.
Ainsi fit-on le vide dans la banlieue parisienne en 1870-7 1.
Lorsque l’on étudie ce siège de Lyon, on est étonné de lui trouver une ressemblance étonnante avec le siège de Paris.
Parmi les femmes qui, venues de la banlieue, s’étaient engagées pour le service des poudres, se trouvait une veuve en deuil, qu’un mortel chagrin devait miner.
Jamais elle n’adressait un mot à personne ; elle travaillait en silence et comme perdue dans un rêve de douleur.
L’interrogeait-on, elle répondait par monosyllabes.
Ses voisines avaient fini par renoncer à lui adresser la parole.
Dans la nuit du 23, on avait engagé toutes les femmes qui s’étaient offertes et l’on avait fait doubler leurs heures aux brigades.
Douze cents travailleuses étaient rassemblées dans les caves ; celles-ci, disposées en vue d’un siège, communiquaient toutes entre elles par de vastes baies d’où le regard plongeait d’un atelier dans l’autre.
La vue s’étendait donc au loin de caveau en caveau, sur des tables de chêne, éclairées par des lanternes de mine, dans la crainte des explosions.
On tendait, dans les souterrains voisins de ces ateliers, les gigantesques marteaux des forges et des soufflets énormes qui activaient les fournaises des fonderies de canon.
Les voûtes tremblaient sous les détonations des obus et des bombes crevant sur la ville.
Mais déjà, avec la sublime insouciance qui est le fond du caractère français, la plupart de ces ouvrières s’étaient familiarisées avec cette situation et toutes parlaient avec cette animation qui donne aux ateliers de femmes une physionomie si vive.
De vieux soldats du génie, quelques-uns mutilés, vétérans de l’armée, des officiers
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