La Bataillon de la Croix-Rousse
des obus, il porte la trace d’un souffle de poussière et de gravier soulevé par un projectile ; le papier est criblé de déchirures et de maculatures.
Saint-Giles fut même obligé de faire recopier ce testament et ces instructions par un fourrier qu’il envoya loin de la maison Panthod.
Le fourrier eut la bonne idée d’expédier à la famille la copie et l’original.
À voir ce dernier, on comprend qu’il faisait chaud dans cette redoute.
Un courrier expédié à Villefranche porta le testament de Saint-Giles.
Les enfants pleurèrent leur mère.
Un seul resta l’œil sec, c’était Ernest, le plus âgé après Saint-Giles, celui qui avait été l’ami du fifre.
Il adorait madame Saint-Giles qui cachait sa prédilection pour lui, et pourtant il n’eut pas une larme pour elle.
Il écouta la lecture de la lettre de Saint-Giles, plissa souvent son jeune front, puis, la lecture finie, il serra les poings et sortit.
Depuis le commencement du siège, il s’en allait tous les jours voir exercer les recrues d’un camp voisin.
Là, il s’était pris d’une rage pour le tambour, et, à l’étonnement du vieux tapin qui professait l’art difficile des ras et des fla ; parmi les élèves volontaires et les enfants de troupe, Ernest avait fait des progrès inouïs.
Il avait enlevé le roulement en deux leçons…
Ça ne s’était jamais vu.
– Il est né avec une paire de baguettes au bout des doigts ! disait le vieux tapin.
Ce n’était pas tout.
Maître Ernest avait, grâce à son frère, un joli coup de crayon.
Il avait lu un jour une affiche par laquelle on demandait des dessinateurs pour mettre à jour la carte et les plans du Lyonnais en vue de la guerre actuelle.
Il s’offrit et fut le bienvenu car les dessinateurs étaient rares et la besogne était pressée.
Quand il s’agit de régler ses honoraires, Ernest dit au vieil officier du génie qui l’avait employé :
– Donnez-moi un uniforme d’enfant de troupe et un tambour, c’est tout ce que je demande.
On lui avait accordé l’uniforme et la caisse.
Ceci se passait peu avant l’arrivée du courrier.
Lorsque celui-ci repartit pour Lyon, on chercha Ernest.
Plus d’Ernest.
Trois heures après sa disparition, la tante recevait ce mot par un camarade du fugitif :
« Ne vous inquiétez pas de moi. Je vais rejoindre mon frère et venger ma mère. »
Il arriva devant Lyon, s’informa du bataillon de la Croix-Rousse et se rendit aux avant-postes.
À la vue de ce frère qu’il aimait tendrement, Saint-Giles sentit son courage tomber.
Il avait compté les années qui séparaient cet enfant de l’âge où la réquisition pouvait l’atteindre et il espérait qu’alors la lutte serait finie.
Lui tué, car il ne doutait pas de périr bientôt, ce garçon, très artiste, le continuerait en quelque sorte : il revivrait en lui.
Sans hésiter, sans vouloir entendre d’explication, il appela un soldat en qui il avait confiance, son brosseur et son ancien modèle d’atelier.
– Ruffin, lui dit-il, tu vas conduire ce gamin à Dubois-Crancé de ma part. Tu diras au représentant que je veux qu’il retourne à Villefranche et que l’on veille sur lui.
– Saint-Giles, dit l’enfant, je suis venu venger notre mère et mourir avec toi pour la République.
– La République ne mange pas son blé en herbe ! dit le commandant.
Et à Ruffin :
– Emmène-le.
Ernest connaissait son frère, il savait ses décisions irrévocables.
– Eh bien, dit-il, au revoir ! Embrasse-moi !
Il jeta les bras au cou de Saint-Giles, salua la garnison émue de cette scène et suivit Ruffin.
Une heure après, Ruffin revenait à la redoute ; il n’avait pas l’air content, cet excellent Ruffin !
– Ah le sacré gone ! s’écria-t-il en arrivant. Il m’en a joué un tour.
Et il raconta qu’Ernest, une fois au camp, lui avait offert de boire un coup dans une cantine.
Lui, Ruffin, y était entré sans défiance.
Là, Ernest s’était écrié devant les buveurs que Ruffin était un espion lyonnais et aussitôt l’on s’était jeté sur lui.
Pendant le tumulte, le sacré petit gone avait disparu.
Ruffin avait eu toutes les peines du monde à se faire conduire à la réserve du bataillon où on l’avait reconnu et délivré.
Saint-Giles, exaspéré, écrivit sur le champ à Dubois-Crancé qui prescrivit à son prévôt de chercher partout le petit tambour Ernest
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