La Bataillon de la Croix-Rousse
représentants, ce décret, ce déchaînement des Jacobins armés de pouvoirs arbitraires pour lever l’emprunt forcé, ce triomphe apparent de nos ennemis me paraissent choses heureuses.
Comme l’abbé n’était pas homme à s’amuser à des paradoxes, on l’écouta avec la plus grande attention.
– Messieurs, dit-il, que voulons-nous ?
– Soulever Lyon ?
– Mais si les choses fussent restées ce qu’elles étaient hier, Lyon se serait contenté de la situation qui lui était faite depuis le mois de février : les partis se tenant en équilibre, il n’y aurait pas eu motif à une émeute.
– C’est vrai ! dit-on.
– Mais voilà que les Jacobins vont, armés du décret municipal, violer les caisses des Lyonnais riches, réquisitionner les marchandises des Lyonnais, enlever les enfants des Lyonnais.
Souriant :
– Vous connaissez Lyon ! L’endroit sensible du Lyonnais, c’est la caisse. Malheur à qui touche à sa caisse ! Les Jacobins vont y toucher ! Malheur à eux. Lyon, indigné, se lèvera comme un seul homme, quand sa patience sera à bout.
– Je propose donc de laisser faire Châlier et ses séides ; ils vont se heurter à des résistances sourdes : ils emploieront la violence ; ils établiront leur tribunal révolutionnaire ; ils monteront leur guillotine. Laissons bouillir les colères, s’aviver les rancunes, et, dans un mois, le 31 mai, nous appellerons aux armes la garde nationale pour chasser la municipalité dévouée aux Jacobins et proclamer l’autonomie lyonnaise !
– Au lendemain de la victoire, dit l’abbé, nous trouverons bien dans la lie des faubourgs une centaine de massacreurs.
– Ah ! l’on massacrera ? demanda Madinier avec un mouvement de répugnance.
– Indispensable ! dit le marquis de Tresmes.
L’abbé sourit au vieux gentilhomme.
– Vous l’avez dit, fit-il, monsieur le marquis : il est indispensable de répandre le sang, de mettre plusieurs meurtres collectifs entre nos adversaires et nous, pour rendre toute réconciliation impossible. La foule, mise en goût par la surexcitation d’un premier massacre, qui sera celui du citoyen Sautemouche, si vous le voulez bien…
M me Leroyer approuva de la tête ; elle ne pouvait pardonner à Sautemouche de l’avoir tutoyée.
L’abbé continua :
– Nous désignerons donc cet insolent drôle à nos massacreurs embrigadés : on fera une chasse à l’homme ; la masse, qui a des instincts féroces, fera meute : elle prendra part à l’hallali, et, toute la ville, responsable de ce meurtre et d’autres encore, sentira l’impossibilité de se soumettre à la Convention, qui voudra faire un exemple terrible. C’est ainsi, messieurs, que nous engagerons à fond les Lyonnais dans une lutte à outrance. Ils sentiront la nécessité de vaincre ou de mourir. La Convention enverra des troupes : le premier coup de fusil tiré, il faudra aller jusqu’au bout. Si vous m’approuvez, messieurs, je vous prie de me le dire. »
Une seule voix protesta :
– Ce massacre me fait horreur ! dit Madinier.
– N’en sentez-vous pas la nécessité ? demanda l’abbé froidement.
– Peut-être est-ce indispensable. Mais je ne veux pas en prendre la responsabilité devant l’histoire, déclara Madinier.
– Eh bien, dit l’abbé, il y a moyen d’arranger la chose.
– Lequel ?
– Au lendemain même de la victoire, déclarez qu’ayant pris le commandement de l’insurrection dans une heure de crise que pour faire triompher la cause girondine, vous donnez votre démission après la victoire.
– Oh ! volontiers, dit Madinier.
– On fera voter ensuite les Lyonnais pour nommer un maire et une municipalité nouvelle, et vous aurez huit ou dix mille suffrages pour vous.
– Mais je ne tiens pas à être maire.
– Nous tenons à ce que vous le soyez. Et vous n’aurez rien à nous reprocher puisque les massacres auront eu lieu pendant l’intérim.
– Oh ! l’abbé, dit le marquis de Tresmes, vous arrangez merveilleusement les cas de conscience, et, si je n’étais pas un vieux pêcheur endurci, destiné à mourir dans l’impénitence finale, je vous prendrais comme confesseur.
– Ce choix m’honorerait beaucoup, monsieur le marquis, dit l’abbé.
Puis il reprit, faisant une révélation inattendue :
– Vous parliez de Judith tout à l’heure. Laissez-moi vous faire partager
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