La Bataillon de la Croix-Rousse
était encore, ne pouvant plus faire sa cour au roi.
– Oh ! madame, j’apporte à vos pieds le témoignage de mon admiration. Vous me faites comprendre les beaux traits des femmes célèbres.
Et, comme il l’avait dit, le marquis couvrit de baisers délicats les mains que les dames lui abandonnèrent.
L’abbé, plus froid, se contenta de dire :
– Mesdames, vous venez de nous sauver tous, sinon de la guillotine, du moins de la prison. L’état-major de la contre-révolution, une fois sous les verrous, je doute que l’on aurait pu faire soulever la ville.
Puis, à la profonde surprise de M. Leroyer, l’abbé ouvrit le rapport que lui avait confié précédemment la baronne, et chercha l’endroit où il avait été interrompu dans sa lecture et en continua l’exposé, après avoir demandé aux dames :
– Avec votre permission.
Ce qu’elles avaient accordé d’un signe de tête. L’abbé avait donc repris sa lecture avec le plus beau flegme. Le rapport insistait beaucoup sur la nécessité de masquer le mouvement royaliste sous des apparences girondines. Il se résumait ainsi :
« M. d’Autichamp, qui fut plus tard un des généraux de la Vendée, avait la direction suprême dans le midi. La révolte de Lyon entraînait le soulèvement général. L’attitude des deux bataillons marseillais qui avaient tenu garnison à Lyon ne pouvait laisser aucun doute sur l’esprit qui animait Marseille. À Toulon, les hauts fonctionnaires de la direction du port étaient prêts à ouvrir cette porte de la France aux Anglais et s’engageaient à leur livrer la place et le port : les Anglais, ayant accès dans le royaume, marcheraient sur Lyon, en donnant la main aux Piémontais d’une part, aux Espagnols d’autre part. Point capital !
« Lyon devait s’insurger avant la fin du mois. Quant aux mesures à prendre pour la ville, le Régent se fiait à l’expérience du Conseil suprême qui s’était formé à Lyon avec son approbation et qui écoutait en ce moment la lecture du rapport. Le conseil devait nommer un chef politique et un chef insurrectionnel. L’insurrection ayant triomphé, il s’agissait de supporter un siège : le Régent désignait comme général en chef M. de Précy, ex-commandant de la garde constitutionnelle du roi Louis XVI. »
De Précy était un royaliste constitutionnel comme Lafayette, un excellent colonel, ayant brillamment commandé le régiment des Vosges, avant de commander la garde constitutionnelle. Il n’avait pas émigré et n’avait pas été inquiété dans son petit patrimoine du Charollais, qu’il habitait et qu’il cultivait de ses mains, étant fort pauvre, et où il se faisait oublier. C’était un signe de l’état des esprits dans certaines provinces, que cette sécurité dont jouissait de Précy, qui avait défendu le roi et commandé le feu contre le peuple pendant la fameuse nuit du 10 août.
« Le choix de M. de Précy, disait le rapport, était fort convenable, en ce sens qu’il n’effarouchait pas trop les Girondins ; ceux-ci, au fond, étant prêts à se contenter d’une royauté constitutionnelle et ne supportant la République qu’à la condition qu’elle fût très modérée. »
Tel était le rapport. Tel était le plan des royalistes.
Le rapport lu, la baronne prit la parole et dit avec autorité :
– Messieurs, vous penserez sans doute comme moi que la première chose à faire est de nommer notre chef politique à Lyon.
– Oui, dirent les conjurés.
– Je propose, dit la baronne, l’abbé Roubiès, dont vous avez pu apprécier les hautes qualités et la profonde diplomatie.
– Oui ! l’abbé ! dirent tous les conjurés.
Et l’abbé fut nommé par acclamation.
– À vous, lui dit la baronne, de proposer un chef pour diriger l’émeute le jour où Lyon fera sa journée des barricades.
– Je crois que M. Madinier remplirait admirablement ce poste difficile, dit l’abbé. Il n’est nullement compromis aux yeux de la population, car il a toujours su dissimuler ses convictions royalistes ; comme apprêteur en soie, il plaira beaucoup au commerce et à la fabrique, et il ralliera au mouvement beaucoup de canuts qui l’estiment.
Madinier, modeste comme tous les hommes de valeur, voulut faire des objections, mais on le proclama à l’unanimité. Il s’inclina.
L’abbé exposa ses idées.
– Messieurs, dit-il, l’évènement de ce soir, cette arrivée des
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