La Bataillon de la Croix-Rousse
dit ; elle n’était point venue pour admirer un mobilier, si artistique qu’il fût.
– Citoyen Saint-Giles, dit-elle, revenant à son premier plan d’entrée en campagne que le chef-d’œuvre lui avait empêché d’appliquer, je suis venue aussi de la part d’une autre personne.
– Ah ! dit Saint-Giles. Et de qui donc ?
– D’une jeune fille.
– Tiens, tiens, tiens.
Et il toisa le fifre.
– Cette jeune fille ne peut pas te rendre visite : il y a des empêchements. C’est celle que tu as sauvée, la petite baronne !
M me de Quercy jugeait à propos de reprendre la fable du bedeau.
– Baronne ! dit Saint-Giles en riant ; elle n’est que baronne. Et moi qui la croyais princesse ! Oh les rêves !
– Mais, dit le fifre, elle n’est ni baronne, ni princesse ; c’est ma cousine germaine.
– Ah, voilà qui m’explique tout. J’ai entrevu le visage de ta cousine, je l’ai reconstitué et j’ai trouvé que tu lui ressemblais. N’est-ce pas que tu lui ressembles ?
– Oh, beaucoup ! Presque à s’y méprendre, quand au carnaval je m’habille en fille.
– Elle est très jolie alors, ta cousine ?
– Jolie et distinguée, c’est pour cela que nous l’appelons la petite baronne.
– Que fait-elle ?
– Elle est couturière.
– Que diable allait-elle faire si tard dans les rues ?
La baronne raconta l’histoire de mariage fabriquée par le bedeau, homme peu guerrier de sa nature, mais expert en mensonges et en ruses.
– Ce qu’il y a de plus drôle, dit-elle, pouffant de rire, c’est que les gens du Comité sont convaincus que ma cousine est une vraie baronne.
– Si elle a autant de chic que tu le prétends, ça n’est pas étonnant.
– En voilà une qui ne te plairait pas, citoyen, dit la baronne.
– Pourquoi donc ?
– Mais elle a des manières de grande dame.
– Cela ne me déplaît pas, protesta Saint-Giles. Est-ce que j’aurais des façons de croquant, par hasard ? Je suis pour élever le peuple et le grandir, moi.
– Tous gentilshommes, alors ! fit la baronne en riant.
– Certainement ! dit Saint-Giles.
– Enfin, voilà ma commission faite ! Ma cousine m’a dit que, ne pouvant venir te remercier, elle m’envoyait à sa place t’assurer qu’elle te serait toute sa vie reconnaissante, et toute sa vie dévouée. Mais qu’est-ce que peut faire pour un artiste comme toi une petite ouvrière en robe, fut-elle lingère par-dessus le marché ?
– On ne sait pas ! dit Saint-Giles.
Puis il ajouta :
– Je dois moi-même ma première visite à ta cousine. Ce sera pour ma première sortie, si elle consent à me recevoir.
La baronne allait répondre.
En ce moment Ernest arrivait un peu essoufflé cette fois et il disait à son frère :
– Les citoyens du Comité sont en bas et ils veulent absolument te voir. Il paraît que c’est bien une baronne émigrée que tu as sauvée.
L’artiste regarda le prétendu fifre et fouilla sa pensée dans ses yeux.
La baronne n’était pas femme à se laisser prendre au filet, sans chercher à passer au travers des mailles.
Sous le regard de Saint-Giles qui pesait sur elle, elle sourit et trouva le moyen de préparer sa prompte retraite, sans que Saint-Giles la soupçonnât d’être une femme et une vraie baronne.
– Ah ! dit-elle, tu me regardes citoyen, et tu te dis : « Voilà un petit bonhomme qui fera bien de filer. Il est le neveu d’un bedeau, le fils d’un sacristain, le fifre du lieutenant Leroyer, une vraie graine de bourgeois, comme tu disais tout à l’heure. »
Saint-Giles riait.
Tant d’art lui fit l’illusion du naturel.
La baronne continua :
– À cette heure le Comité n’est pas content de la compagnie où le fifre joue ses plus beaux airs ?
– Pourquoi ?
– Parce que Sautemouche a perquisitionné dans la maison Leroyer, parce que le dit Sautemouche s’est grisé dans les caves avec ses compagnons et qu’on l’y tient sous clefs, en attendant son réveil. La maison est en état de siège : naturellement le Comité n’est pas de bonne humeur et s’il mettait la main sur le fifre du lieutenant, il emprisonnerait le pauvre fifre.
– Comment Sautemouche… ?
– Mais oui… Sautemouche… qui a bu du punch à la santé de la République avec madame Leroyer, qui a rebu dans les caves et qui est ivre-mort.
– C’est dégoûtant ! dit Lucien, mais
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